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  • Photo du rédacteurM. O.

Alger, rue des Bananiers, Béatrice Commengé

Dernière mise à jour : 19 juin 2023

Dans Alger, rue des Bananiers Béatrice Commengé retrace l’histoire de sa famille sur cinq générations. Récit intimiste et recherche historique s’entrelacent dans ce petit livre juste et sensible aux accents camusiens.


Au milieu du XIX° siècle, Jeanne, l’aïeule, quitte son village de Haute-Garonne pour l’Algérie où elle épouse un forgeron et fonde une famille. Un siècle plus tard, en juillet 1961, l’autrice âgée de douze ans et ses parents quittent définitivement Alger pour la métropole. Entre ces deux dates, c’est toute une histoire que le livre tente de reconstituer, celle d’une famille et celle d’un pays, avec ses joies et ses blessures, ses non-dits et ses secrets. D’un côté, les amours, les mariages, les enfants morts en bas âge, les réussites et les faillites ; de l’autre la « conquête », la colonisation, les révoltes, les « événements » d’Algérie.


L’autrice mène une véritable enquête sur le passé tant intime que national, s’appuyant autant que possible sur les récits de sa mère et sur quelques documents conservés, actes d’état-civil, photos - dont on peut regretter qu’elles ne figurent pas dans le livre- . Mais des blancs subsistent, qu’elle constate sans parvenir à les combler : « On tombe très vite sur l’inconnu, sur l’insolite, sur l’inexplicable, dès qu’on se mêle de remonter aux sources. » A cela s’ajoutent ses recherches sur internet et ses nombreuses lectures. A la mort de son père, elle se plonge dans les ouvrages, tous consacrés à l’Algérie, de la « bibliothèque du couloir » dans l’appartement de ce dernier : « Je me retrouvais devant un bloc informe de cent trente ans d’histoire, dans lequel il me parut urgent de mettre de l’ordre, si je voulais y trouver ma place, tout au bout de la chaîne. »


Le récit qui en est issu a le double mérite de la précision et de l’honnêteté. Il rappelle des événements historiques connus - la « Toussaint rouge », les discours de De Gaulle, les attentats de l’OAS…- et d’autres, plus anciens, qui le sont moins - le passage des Portes de fer par le duc d’Orléans, les premières colonies agricoles, les villages peuplés par les déportés politiques de 1848, l’insurrection de Kabylie en 1871… Mais la narratrice s’interroge en vain sur les connaissances et les sentiments de son aïeule : « Et Jeanne? Fut-elle éblouie? Fut-elle troublée…Que sait-elle de la « conquête »? Et ce mot « colonie » comment résonne-t-il en elle? » Ses questions restent sans réponse : « A chaque pas je me heurte à mon ignorance de l’ignorance de Jeanne. » Elle ne peut qu’émettre des hypothèses, elle refuse d’extrapoler ou de romancer. De la même manière, en ce qui concerne l’époque plus proche qu’elle a elle-même vécue et le moment du départ, ses souvenirs d’enfant sont flous et lacunaires : « J’aimerais me souvenir. Me souvenir de mon dernier automne, mon dernier hiver, mon dernier printemps. Dans ma mémoire, tous les jours se confondent. »


La perte de l’Algérie se confond avec la perte de l’enfance, d’une certaine insouciance et d’un bonheur de vivre : « il n’est pas une parcelle d’espace autour de l’épicentre du 10 rue des Bananiers qui ne se confonde avec une joie - de la branche de citronnier aux broussailles de la « montagne », du tour du moutchou à l’église des Dominicains, de la « cour des miracles » du 12 à la garde-robe de Mademoiselle Hatinguais… » Pas de nostalgie excessive cependant ; l’adolescente est pressée de grandir, de découvrir l’ailleurs, l’autrice est animée du désir de connaitre, de comprendre d’où elle vient et de redonner vie par les mots « à la lumière, au bonheur, aux frissons de cette enfance passée sous un autre ciel. »



Alger, rue des Bananiers, Béatrice Commengé, Verdier, 2020, 124 pages.

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