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Au grand jamais, Jakuta Alikavazovic

  • Photo du rédacteur: Fleur B.
    Fleur B.
  • 25 sept.
  • 2 min de lecture

Au grand jamais puise son origine dans la disparition d’une femme, motif littéraire par excellence : « A chaque fois, ces disparitions sont l’anomalie. Le vide soudain qui met en branle un récit. L’histoire ne commence que grâce à cela : une femme qui disparaît. » Le roman s’ouvre ainsi dans le fracas d’une annonce, celle de la mort de la mère de l’autrice. Jakuta Alikavazovic part en quête de cette femme mystérieuse, peu loquace, « transparente à tous et à elle-même ». Pourtant, elle fut une jeune poétesse reconnue en Yougoslavie - elle y publia deux recueils, membre fondatrice d’un cercle de jeunes poétes nommé « Vrelo » (« Bouillant »). Son premier ouvrage parait en 1971 amputé d’un poème jugé trop subversif par son éditeur - et peut-être est-ce pour cela qu’on lui offre l’opportunité de partir pour Paris, où elle s’installe définitivement. Mais dans les années 1990, elle renonce à la poésie, s’efface, au moment même où disparaissent son frère, son pays et sa langue, tout trois engloutis par la guerre. Expression de son deuil ? Refus d’un monde qui la rend apatride ? Révolte rimbaldienne ? Est-ce cela le « don » familial souvent évoqué mais jamais nommé, celui de l’écriture, légué à sa fille malgré (ou à cause de) son propre renoncement ?


Le motif de la disparition se décline, s’infuse dans la narration et l’enquête s’épaissit. Est-il possible de saisir la vérité d’une vie, s’interroge l’autrice face à des souvenirs flous. Sacha, dit Le Lynx, cousin éloigné et personnage haut-en couleur, pose d’ailleurs un autre regard sur la disparue et met en branle les certitudes de la narratrice. C’est là une des grandes réussites du roman : les pièces ne s’ajustent pas toujours mais la littérature permet de faire émerger un récit. L’élégance de la plume, la fluidité de l’écriture, le rythme ciselé des phrases achèvent de donner une grande cohérence à l’ensemble.


Jakuta Alikavazovic est une admirable conteuse, certainement car les histoires sont pour elle constitutives de notre identité : « On grandit autant dans un pays, dans un foyer, que dans certaines histoires ». La narration recèle de petits récits saillants, chers à l’autrice qui ainsi les préserve : celui du livre qu’elle préférait enfant et que lisait sa mère au moment de son décès, celui qui est le cœur du poème interdit ou encore une sordide histoire d’enfants emmurés dans les piliers d’un pont de Londres.


Jakuta Alikavazovic «[a] souvent écrit pour dissimuler dans et entre les lignes ce qui [lui] est le plus cher » : des histoires donc, mais aussi des lieux, des objets, ou, comme dans Au grand jamais, un magnifique tombeau à une personne aimée.


Au grand jamais, Jakuta Alikavazovic, Gallimard, 2025, 250 pages.

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