Dans ce dernier ouvrage, l’étrange commissaire aux yeux verts est plus solitaire et mélancolique que jamais ; il ne se remet pas de la mort de Rosa, sa gouvernante, sa presque mère. Une nouvelle affaire surgit à propos pour le sortir de sa torpeur. La belle comtesse de Roccaspina soutient que son mari est innocent du meurtre dont il s’est pourtant accusé. Discrètement, puisqu’il n’a pas l’autorisation de ses supérieurs, Ricciardi revient sur les faits. L’enquête avait été vite menée, le coupable étant tout trouvé, mais des incohérences apparaissent…
Plus encore que l’enquête, c’est l’atmosphère qui fait le charme du livre. Maurizio de Giovanni sait donner vie à des personnages secondaires qui, de livre en livre, nous deviennent familiers : le brigadier Maione, père de famille au grand coeur, Bruno Modo, le médecin légiste, Bambinella, le travesti informateur de la police, la séduisante Livia et la discrète Enrica « fragile et transparente ». Surtout, il rend présente la ville de Naples où la beauté côtoie la misère : l’animation de la via Toledo et du café Gambrinus, les ruelles sombres du quartier espagnol, les gamins des rues et les vendeurs ambulants, les maisons basses et les palais. Le terrible pouvoir visionnaire de Ricciardi le rend particulièrement sensible aux souffrances et aux désespoirs qui l’entourent : « Je suis l’enfer, je porte l’enfer en moi. » Dans l’Italie fasciste, le danger rôde : surveillance et dénonciations menacent les opposants au régime, mais aussi les homosexuels. Des interludes, mettant en scène un chant d’amour contrarié, rythment le récit et relient les fils des différentes histoires d’amour qui s’entrelacent : celle du comte, du commissaire, de Livia, et d’autres personnages : « Sauve-toi! Sauve-toi petite phalène! […] Tu vois bien que moi aussi je me laisse peu à peu éblouir, et qu’à vouloir te chasser, je finirai par me brûler la main. »
Encore une fois, Maurizio de Giovanni nous fait « côtoyer les ombres des âmes humaines ». Pour notre plus grand bonheur.
Des phalènes pour le commissaire Ricciardi, Maurizio de Giovanni, traduit de l’italien par Odile Rousseau, Rivages/Noir, 2022, 400 pages.
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