top of page

Fracassé, Hanif Kureishi

Photo du rédacteur: M. O.M. O.

 

Entre journal intime et chroniques, les textes de Hanif Kureishi racontent son terrible accident. Brillant et bouleversant.

 

« Il faut que le début soit percutant. » écrit Hanif Kureishi. Percutant, le début de Fracassé l’est assurément : le 26 décembre 2022, l’auteur est terrassé par une attaque qui le laisse paralysé et qui bouleverse totalement sa vie et celle de ses proches. Pendant un an, il séjourne dans cinq hôpitaux différents, à Rome puis à Londres, avant de pouvoir rentrer chez lui. Le livre raconte cette année de soins et de rééducation mais aussi beaucoup plus. Puisque l’immobilité forcée est l’occasion d’un retour sur soi, il nous parle de sa jeunesse et de ses débuts d’écrivain, de paternité, de psychanalyse, de sexualité et surtout de littérature.

 

On retrouve tous les thèmes qui sont chers à l’auteur du Bouddha de banlieue et surtout son style caustique, incisif, souvent drôle. Avec ici une forme d’oralité, de proximité parce qu’il se confie sans détour au plus intime. Peut-être aussi parce que, ne pouvant utiliser sa main, il dicte les pages à sa compagne ou à son fils. Pas de pathos ni d’apitoiement. Une parole vraie, souvent crue, qui n’élude rien du trivial, qui dit la colère, la souffrance, le désespoir, les rares moments de joie aussi, mais qui obéit à cette autre règle d’écriture : « l’objectif principal, c’est de régaler le lecteur. » Pour que celui-ci ne s’ennuie pas, reste avec lui, ne le laisse pas seul avec ses angoisses, l’écrivain doit l’intéresser, l’amuser, le surprendre et le séduire par ses mots. Tel Shéhérazade, il joue avec le lecteur, commence, interrompt et fait attendre le récit de « l’orgie d’Amsterdam ». Il établit, à partir de son expérience, une comparaison entre les systèmes de santé italien et britannique : d’un côté, la chaleur et le dévouement des soignants, de l’autre l’état de délabrement de l’hôpital et le personnel entièrement d’origine immigrée. Il rapproche aussi de manière surprenante les deux moments chocs de sa vie - la paternité et le handicap : « J’ai ressenti la même chose que pour mon accident : qu’un événement à la fois irréversible et dévastateur s’était produit, qu’il n’y avait aucun moyen de revenir en arrière. » Le sentiment du tragique et de la fragilité humaine est prégnant. L’image qui s’impose est celle de La Métamorphose de Kafka : Gregor Samsa, brusquement changé en cancrelat, prisonnier de son propre corps devenu étranger.

 

A travers ces pages pleines d’humour et d’humanité, Hanif Kureishi essaie d’apprivoiser l’horreur de sa situation : « Je cherche une façon de m’accommoder du choc de l’accident par le biais de ce texte que je suis en train de dicter. » Il s’interroge sur son identité : « Paki, écrivain, infirme : qui suis-je maintenant? » Assurément un grand écrivain.

 

 

Fracassé, Hanif Kureishi, traduit de l’anglais par Florence Cabaret, Christian Bourgois, 2025, 299 pages.

Comments


bottom of page