La correspondance Scott/ Truffaut nous plonge au coeur des années 60 dans la fabrique du cinéma et l’intimité de deux fortes personnalités.
Quand ils se rencontrent à New-York en janvier 1960, il a 28 ans, elle en a 45. C’est un jeune metteur en scène qui a tourné deux films et connu le succès avec le premier, Les 400 coups. Elle est une femme au fort caractère, attachée de presse au French Film Office après avoir connu d’autres expériences, vécu en France et aux Etats-Unis, participé à la Résistance à Brazzaville[1]… Amitié amoureuse, complicité, attachement maternel, amour unilatéral… Difficile de qualifier leur relation : « Moins compliqué que l’amour, plus envahissant que l’amitié, ça ne se définit pas. » comme elle l’écrit. Ils ont tous deux une vie sentimentale complexe, des ennuis financiers, des moments de dépression et surtout la même passion pour le cinéma. Elle est l’interprète, la traductrice, la collaboratrice indispensable - Truffaut ne maîtrise pas l’anglais alors que Helen Scott est bilingue. Son « associée nouillorkaise » comme il la nomme joue un rôle essentiel pour sa carrière américaine et surtout pour le livre d’entretiens avec Hitchcock. « Le tandem Truffscott » fonctionne à merveille comme s’en réjouit le cinéaste : « Nous sommes des génies en parfaite connivence! »
Au fil de leurs échanges de 1960 à 1965 - date de l’installation à Paris d’Helen Scott-, on découvre la genèse des premiers films de Truffaut et l’envers du décor : projets inaboutis ou reportés, difficultés et angoisses du tournage, déboires commerciaux. Acheter les droits d’adaptation, obtenir le financement, réduire le film au montage, plaire aux critiques et au public, les obstacles s’accumulent. La Peau douce est un insuccès, le tournage de Farhenheit 451 est sans cesse reporté faute de producteurs, Truffaut perd un procès intenté par Vadim…« J’ai peur de devenir fou. Tout rate et tout craque autour de moi. » se plaint le metteur en scène qui fait la liste de ses échecs. On croise J-L Godard, Alain Resnais, Jeanne Moreau, Charles Aznavour… Les lettres fourmillent de détails concrets et d’anecdotes, de portraits. Tous deux ont leur franc-parler : Helen Scott ne manque pas d’humour et d’auto-dérision, le gentil Truffaut peut avoir une plume assassine et vindicative. Ainsi, quand il s’en prend à l’exotisme des films de Marcel Camus : « Les bons films se tournent dans les chambres, le cul sur la chaise. »
On retrouve aussi le contexte des années 1960 : le maccarthysme, la guerre d’Algérie, le moralisme. Helen Scott, placée sur liste noire en raison de ses sympathies communistes, doit recourir à un avocat pour récupérer son passeport. Truffaut signe le manifeste des 121[2] et s’inquiète des conséquences possibles ; sa monteuse est condamnée à cinq ans de prison pour avoir hébergé un membre du FLN ; Le petit soldat de J-L Godard est censuré. Tirez sur le pianiste et Jules et Jim sont interdits en France aux moins de 18 ans.
Comme toute correspondance, c’est une immersion dans l’intimité. Aux propos professionnels se mêlent des confidences personnelles que favorisent sans doute l’éloignement géographique et les demandes de Scottie à son Francisco. Helen souffre de sa solitude, démissionne de son emploi et souhaite venir en France, François divorce et traverse une période difficile : « Vous avez raison, chère Helen, quand vous dites que je veux tout, mais pour l’instant je ne sais même pas moi-même ce qui me manque. » Mais loin de s’apitoyer sur eux-mêmes les deux épistoliers ironisent, font preuve d’un humour potache ce qui rend la lecture de cette correspondance tout à la fois drôle, instructive et parfois mélancolique.
François Truffaut & Helen Scott « Mon petit Truffe, ma grande Scottie » Correspondance 1960-1965, édition établie et commentée par Serge Toubiana, Denoël, 2023.
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