Il aura fallu des années à Salman Rushdie pour oser se replonger dans les années les plus sombres de sa vie, celles de la fatwa, afin d’en livrer le récit, et de se réapproprier une histoire qui a fait couler beaucoup d’encre mais qui reste avant tout la sienne. Ecrit à la troisième personne, Joseph Anton se lit comme un roman policier, qui donnerait la parole à la victime prise dans une toile d’araignée.
L’histoire de la fatwa prononcée par l’Ayatollah Khomeiny suite à la parution des Versets sataniques en 1989 est bien connue, néanmoins les rouages politiques et éditoriaux de cette affaires, et ses conséquences sur la vie de l’auteur, décrits dans Joseph Anton surprennent jusqu’à la dernière page le lecteur.
Aujourd’hui la manière dont cette affaire a été traitée semble incroyable. La fermeté face à l’obscurantisme, au terrorisme, va de soi. Cela ne fut à l’époque pas aussi tranché. L’auteur a essuyé de nombreuses critiques et attaques, venant de journalistes peu scrupuleux et avides de gros titres, mais aussi d’intellectuels et de personnalités politiques. Il s’est vu fermer de nombreuses portes, sa liberté se réduisant peu à peu : interdiction de vols sur les plus grandes compagnies aériennes, refus d’autorisation de séjour, invitations à des évènements littéraires ajournées, refus des éditeurs de publier en poche Les Versets sataniques mais aussi ses nouveaux romans, … Innocent mais prisonnier de la protection de la Special Branch, se battant pour la liberté mais en étant privé, c’est à un véritable combat pour reconquérir ses droits que se livra Rushdie, un combat pour lui mais avant tout pour tous, pour que la parole des écrivains ne soit plus menacée.
Pour autant, Rushdie ne se peint pas en héros de la liberté ; il ne s’épargne guère et n’hésite pas à relater des anecdotes dans lesquelles il n’est pas à son avantage. Ainsi, du tragique de la situation émergent parfois des instants cocasses, signes que malgré tout la vie continuait. En dehors de l’intérêt narratif de donner des respirations comiques à son récit, le souci de transparence de l’auteur participe à une recherche de rétablissement de la vérité. Il s’agit de porter sur soi un regard critique, sans complaisance, mais juste. Ainsi, Rushdie reconnait ses erreurs de stratégie, ses faiblesses ou encore ses égarements sentimentaux qui firent aussi parler de lui.
Roman autobiographique, roman politique et roman policier, Joseph Anton est avant tout une célébration de la liberté et de la littérature.
Joseph Anton, Salman Rushdie, éd. Folio, 2013, 920 pages.
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