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Photo du rédacteurFleur B.

L’Échiquier, Jean-Philippe Toussaint

Le titre du nouveau roman de Jean-Philippe Toussaint ne doit pas impressionner : pas besoin d’être un féru d’échecs pour y plonger avec délice et intérêt. Le roman s’organise en soixante-quatre chapitres en écho aux soixante-quatre cases qui composent un échiquier. Rien d’oulipien néanmoins dans un tel projet, ni art combinatoire inspiré de la « polygraphie du Cavalier » à la manière de Perec dans La Vie mode d’emploi, ni tentative d’épuisement autobiographique, mais un parcours à sauts et à gambades, tout en fluidité. Chaque case-chapitre peut ainsi poursuivre la précédente ou en dévier ; chacune est d’une longueur différente, de la phrase sibylline qui ouvre le roman avec maestria : « j’attendais la vieillesse, j’ai eu le confinement », à d’autres plus copieuses de plusieurs pages. Autant de petites fenêtres drolatiques - notamment sur l’âge de l’auteur et ses petits bobos - émouvantes ou réflexives. L’une raconte par exemple avec humour le tournage de Berlin, 10h46 avec le joueur d’échecs renommé Youssoupov « un physique de cinéma, tête de Raspoutine, forte corpulence, cheveux longs, barbe blonde et soyeuse de pope orthodoxe ». D’autres, les plus touchantes, sont consacrées à son père qui déplorait de ne pas se trouver dans ses livres. Jean-Philippe Toussaint l’exauce, et cède même la plume à celui qui rêvait d’être écrivain, le temps de quelques lignes extraites d’une lettre qu’il lui avait envoyée à la publication de L’Urgence et la Patience : « Je ne suis d’ailleurs jamais loin de toi. Je ne le serai jamais. »


La genèse du livre s’ancre aux premiers jours du confinement, alors qu’à l’occasion d’une promenade l’auteur pousse la porte de son ancienne école et en contemple le dallage en damier du couloir : « J’étais là, immobile, devant l’échiquier de ma mémoire – et j’y resterai tout au long de ces pages, c’est le présent de ce livre, c’est son présent infini. » Un énième roman du confinement ? Non, car s’il s’agit bien d’un « journal de bord » écrit à la faveur du confinement, celui-ci est relayé aux marges, à quelques pages dont celles irrésistibles relatant l’achat d’un masque dans une pharmacie. Pour Jean-Philippe Toussaint, le confinement offre les conditions idéales à l’écriture : disposer de tout son temps, libre des contraintes liées à la promotion de son dernier roman, au calme sans être seul, confiné avec Madeleine, sa femme, dans leur appartement. Il décide d’en profiter pour s’atteler à une nouvelle traduction du Joueur d’échecs de Zweig, à laquelle il donne le titre inédit d’ Échecs, en clin d’œil à son premier roman non publié, et à un essai sur la traduction : « à ces deux projets, la traduction et l’essai, s’en ajoutera un troisième, un livre, une sorte de journal de bord que je tiendrai en parallèle, à la fois témoignage sur la traduction et méditation sur l’écriture, glose et flânerie, exégèse et cueillette, qui m’accompagnera tout au long du chemin. Voilà, j’ai défini le projet, il sera tricéphale. Je suis paré, le confinement peut commencer. » 


Que les amateurs d’échecs se rassurent, ils trouveront de quoi se sustenter : langage codé échiquéen, références à de fameux affrontements – mais par petites touches, afin de ne pas se mettre à dos le lecteur insensible au jeu de damier. « Je voulais que ce livre soit sensible, concret, malicieux, humain, ombrageux, imprévu, généreux » écrit Jean-Philippe Toussaint. Mission accomplie.


L’Échiquier, Jean-Philippe Toussaint, Les éditions de Minuit, 2023, 256 pages.

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