Le 22 mai 1985, le journaliste Jean-Paul Kauffmann est enlevé, ainsi que le chercheur Michel Seurat. Ces enlèvements sont revendiqués par l’organisation libanaise du Jihad islamique affiliée au Hezbollah. Trente ans plus tard, son fils, historien, se plonge dans les archives familiales et revient sur ce drame qu’il a vécu enfant et adolescent.
Le jeune Grégoire a onze ans quand son père disparait. Son quotidien en est bouleversé, tout comme celui de son jeune frère Alexandre et de leur mère. Joëlle Labrunie-Kaukffmann, gynécologue, crée aussitôt, avec l’aide de proches, un comité des Amis de Jean-Paul Kauffmann. Celui-ci lance des pétitions, organise des manifestations et des évènements afin d’alerter l’opinion publique et les autorités sur le sort des otages. Pendant les trois années de détention de son mari, cette femme déterminée et combative, militante de mai 68 et des luttes pour l’IVG, met de côté son activité professionnelle et s’engage totalement. Elle ne recule devant rien, harcèle le Quai d’Orsay - qui voudrait imposer le silence aux familles des otages - obtient des rendez-vous et multiplie les interviews. Cet engagement lui vaut un abondant courrier : des réactions critiques, parfois violentes - on lui reproche son exposition médiatique et son entre-soi parisien - d’autres empathiques émanent par exemple d’anciennes femmes de prisonniers de guerre, ou encore étonnantes comme les propositions de se constituer remplaçants des otage par convictions humanitaires ou désirs suicidaires. Même si, dans une certaine mesure, la mère essaie d’épargner « les garçons », toute la famille est embarquée et vit au rythme des promesses, des espoirs et des déconvenues. Joëlle et ses fils vont passer le Noël 1985 à Beyrouth pour être au plus près de Jean-Paul. Grégoire et Alexandre sont eux aussi interviewés, photographiés. Malgré tout, la vie continue pour les enfants qui deviennent peu à peu adolescents avec leurs propres préoccupations : le harcèlement scolaire, les premiers baisers et les premiers concerts, le code vestimentaire au collège…
La réussite de l’auteur est de mêler, souvent avec humour, le point de vue de l’enfant qu’il était - forcément ignorant, inconscient des enjeux - et celui, éclairé et rétrospectif, de l’historien appuyé sur une riche documentation. Le récit nous plonge à la fois dans l’intimité d’une famille et au coeur d’une époque. Celle des années Mitterrand, avec Bernard Tapie, Harlem Désir, Coluche, Renaud ; celle de la première cohabitation avec Chirac et Pasqua ; celle du procès Klaus Barbie, de la catastrophe de Tchernobyl, de l’attentat de la rue de Rennes… Epoque tout à la fois proche et lointaine où se manifestent déjà le poids du Hezbollah et celui de l’Iran - au coeur des négociations. Les plus âgés d’entre nous se souviennent du refrain lugubre qui ouvrait rituellement le JT d’Antenne 2 rappelant les noms des otages et décomptant les jours de détention, de l’annonce de la mort de Michel Seurat ainsi que de l’émotion collective lors du retour des otages le 5 mai 1988. Sur ce temps des retrouvailles le récit se fait pudique et s’arrête lorsque s’ouvre la porte de l’avion : « Enfin mon père. »
Ce sont des moments de notre histoire commune que ce livre évoque avec la force du témoignage et la rigueur de l’historien.
L’enlèvement, Grégoire Kauffmann, J'ai lu, 2024, 480 pages.
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