Un des romans les plus attendus de cette rentrée littéraire de janvier : laissez-vous emporter par cette cité aux murs incertains sans capituler trop rapidement devant l’ennui.
Les lecteurs de Murakami attendaient depuis sept ans la parution d’un nouveau roman. La cité aux murs incertains est en fait une réécriture d’une nouvelle publiée en 1980, ou plutôt sa double prolongation. Dans la première partie, qui correspond à la nouvelle, deux adolescents amoureux imaginent une cité ceinte de hauts murs : c’est là, explique la jeune fille, que réside son vrai moi, elle-même n’en étant que l’ombre. Un jour, elle disparaît sans laisser de trace, et le jeune homme ne peut se résigner à l’oublier. Les chapitres alternent entre son arrivée, des années plus tard, dans cette cité onirique « qui pense, qui se défend, qui attaque » et ceux consacrés à leurs chastes amours adolescentes. Le narrateur, qui restera une voix sans nom, devient dans ce lieu énigmatique liseur de rêve. Pour entrer dans cette cité, il a dû accepter d’être séparé de son ombre. Dans la deuxième partie, le narrateur, âgé d’une quarantaine d’années, quitte tout et part travailler dans la bibliothèque municipale d’un petit village. Celle-ci se révèle être un lieu bien étrange où il retrouve des échos de la cité fantasmée : « J’ai ressenti comme une sorte de torsion, on aurait dit que l’espace-temps se déformait légèrement. Les choses semblaient se mélanger. C’était mon impression. Certaines frontières s’effondraient ou s’estompaient, de sorte que les réalités commençaient à fusionner ici ou là. ». La dernière partie, par un retour dans la cité aux murs incertains, vient magistralement tisser l’ensemble.
Le roman est tout sauf haletant et l’ennui gagne parfois le lecteur. Peu de personnages, une intrigue ténue et sans réel suspense, une quasi absence d’actions et de rebondissements, le dernier Murakami ne répond à aucun des codes romanesques actuels inspirés des séries. La cité aux murs incertains est un roman méditatif, une invitation à respirer, à contempler, à s’abandonner à la rêverie. Un cocon au temps suspendu bien loin du fracas du monde. Dans la cité aux contours flous et mouvants, le temps n’existe pas ; les horloges n’ont pas d’aiguilles, la vie est rythmée par la succession du jour et de la nuit, le passage des saisons : « L’horloge […] n’indiquait donc pas l’heure, mais illustrait plutôt son insignifiance. Le temps ne s’était pas arrêté, il avait seulement perdu son sens.» Par cette conception cyclique et non linéaire du temps, le roman propose de se rendre disponible et sensible au monde et à ses variations, si infimes soient-elles. On retrouve dans La cité aux murs incertains la poésie et la grâce de la plume de Murakami, ainsi que bon nombre de ses thèmes de prédilection, notamment la porosité des frontières entre rêve et réalité, entre fantastique et réalisme. Quelle est donc cette mystérieuse cité ? La métaphore du royaume des morts dans lequel Orphée vient chercher Eurydice s’impose au lecteur. Néanmoins chez Murakami l’onirique n’appelle aucune résolution, bien au contraire. N’est-ce pas à une réflexion sur la fiction et le pouvoir de l’imagination qu’il nous convie inlassablement dans son œuvre ? Une réalité autre, et qui n’en est pas moins vraie, émerge dans chacun de ses romans. Dans cette vision du monde héritée de Gabriel García Márquez « le réel et l’irréel se juxtaposent, coexistent à valeur égale ». Murakami nous invite ainsi à ne jamais cesser de croire à l’art du romancier : « Si vous avez une foi profonde en quelque chose, votre chemin émergera tout seul ».
Adeptes de page-turner, passez votre chemin. Mais les lecteurs de Murakami auront plaisir à retrouver son univers si singulier et le quitteront à regret.
La cité aux murs incertains, Haruki Murakami, traduit du japonais par Hélène Morita, Belfond, 2025, 552 pages.
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