Premier roman d’une très jeune autrice encensée par la critique, La Colère et l’Envie est un récit d’apprentissage touchant qui hésite entre réalisme et merveilleux.
Isor a treize ans. Elle est différente. Elle ne parle pas - sauf des « langues fantômes » -, n’écrit pas et refuse d’apprendre. Elle vit dans le moment présent et dans ses émotions, totalement, intensément, submergée parfois par de violentes colères. Après de multiples tentatives décevantes, ses parents ont renoncé à toute thérapie et se sont organisés pour s’occuper d’elle : « Maintenant ce sera nous - rien que nous trois. » Ils vivent en milieu clos jusqu’au jour où Isor rencontre le voisin, Lucien, vieil homme solitaire marqué par le deuil.
L’autrice évoque tout d’abord l’enfance et l’adolescence de la protagoniste à travers les voix du père et de la mère. Leurs récits alternent, s’enchaînent autour d’un mot, d’un thème. La juxtaposition rend bien compte du vécu différent de chaque parent et du mutisme de l’enfant. Objet de toutes les attentions, Isor est ainsi à la fois présente et absente, énigme sur laquelle butent tous les discours, celui du corps médical comme celui des parents. Face à cette enfant changeante, insaisissable, irrémédiablement étrangère, aux allures de petit animal ou de prêtresse antique aucun diagnostic possible, juste des hypothèses et un ressenti : mélange d’incompréhension, de sidération, d’admiration : « Tu comprends des choses que nous ne comprendrons jamais. » Alice Renard sait exprimer avec simplicité et délicatesse le mystère, le silence, le tout sans pathos.
C’est ensuite le voisin qui raconte sa rencontre avec Isor. Coup de foudre réciproque, tous deux se comprennent, complémentaires et complices. Ils passent leurs après-midis ensemble. Elle apporte rire, jeux et fantaisie dans une existence morne et réglée. « J’aime sa capacité inhumaine à être brutalement heureuse. Si brutalement heureuse. » On retrouve là un thème plus convenu, celui de la jeune fille qui redonne la joie au vieillard. Quand Lucien, victime d’un AVC, est hospitalisé, Isor fugue… On n’en dira pas plus pour ne pas dévoiler la dernière partie. Il faut accepter l’invraisemblance de la métamorphose brutale et radicale d’Isor, la forme étrange de sa prise de parole - par laquelle l’autrice veut marquer la différence de son personnage - et le parti pris de la fin heureuse.
Peut-être, loin des préoccupations réalistes, faut-il lire ce conte comme une métaphore de toute enfance et adolescence, depuis la relation exclusive parent/enfant à l’émancipation, une sorte de conte initiatique.
La Colère et l’Envie, Alice Renard, Points, 2024, 160 pages.
Comments