La Femme silencieuse n’est pas à proprement parler une biographie de Sylvia Plath. Janet Malcom propose une réflexion richement documentée sur le travail mené par ses différents biographes, et en particulier une réhabilitation d’Anne Stevenson, autrice du très controversé Bitter Fame sur lequel se déchaînèrent les critiques. Elle interroge à la fois la création et la réception des différentes biographies qui se sont succédées. Le cas de Plath fait en effet presque figure de cas d’école tant la collaboration entre les biographes et les ayants droits - son ex-mari Ted Hughes et sa belle-sœur Olwyn Hughes - est chaque fois laborieuse, difficile, voire impossible. Une défiance mutuelle sclérose rapidement les échanges et nuit à l’entreprise biographique. Ted Hughes écrit ainsi à Jacqueline Rose, autrice de The Haunting of Sylvia Plath : « les critiques se sont arrogé le droit de dire tout ce qui leur chante sur les défunts. C’est une prise de pouvoir absolue, et la corruption qui bien souvent l’accompagne prend la forme d’une imagination morale atrophiée ». Ted Hughes s’exprime en fait très peu, c’est sa sœur Olwyn qui est la principale interlocutrice, à la fois besogneuse et intraitable. Janet Malcom explique l’acharnement des critiques et exégètes de Plath à leur égard à la fois par cette mainmise sur l’œuvre de Plath et par des procédés contradictoires. Ted Hughes réclame le respect de leur vie privée tout en publiant par ailleurs les Journaux[1]… Néanmoins, Janet Malcom prend bien le parti de Ted et Olwyn Hughes dans ce conflit presque mythique qui cherche à opposer la vérité de Sylvia Plath à celle de ses ayants droits. Elle n’hésite pas à brosser des portraits au vitriol des biographes : « La liberté d’être cruel est l’un des privilèges incontestés du métier, et le fait d’évoquer ses sujets comme autant de personnages dans un mauvais roman est une convention largement acceptée. En Mrs Plath, Ted Hughes et Olwyn Hughes, les journalistes voient à ce jour trois cibles exceptionnelles, irrésistibles, qu’ils peuvent réduire et attaquer à l’emporte-pièce sans jamais réfréner leurs penchants sadiques ». In fine, Janet Malcom invente un nouveau genre en écrivant la biographie post mortem de Plath, la femme silencieuse qui fait tant parler d’elle.
La Femme silencieuse, Janet Malcom, traduit de l’anglais par Jakuta Alikavazovic, éditions du sous-sol, 2023, 240 pages.
[1] Journaux, 1950-1962, Sylvia Plath, traduit de l’anglais par Christine Savinel, Gallimard, 1999, 492 pages.
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