Dans la Vienne d’après-guerre en pleine reconstruction et transformation, Robert Simon ouvre un café. Il y sert de la bière, du vin, du soda framboise, des tartines de saindoux aux cornichons et, l’hiver, du punch qui « vous faisait rudement chaud au coeur et donnait un sacré coup de fouet. » Des habitués s’y retrouvent, commerçants, ouvriers, employés, habitants du quartier, paisibles joueurs de cartes ou ivrognes bagarreurs, tous personnages pittoresques et attachants. On entend leurs voix, leurs conversations et leurs monologues faits de banalités et de confidences ; on partage des moments de leur vie entrevus, leur quotidien, leurs amours et leurs déceptions. Avec tous, comme avec sa logeuse vieillissante et Mila, son employée, Robert Simon tisse une relation bienveillante.
Robert Seethaler sait avec quelques touches esquisser ses personnages, que l’on croise comme des passants et rendre l’atmosphère de la ville. Vienne, le marché des Carmélites, le Prater, la cathédrale Saint-Etienne, les brasseries, les tramways et le Danube - qui n’est pas bleu : « le vieux Danube étalait ses eaux brun-vert au soleil.» Vienne encore marquée par la guerre et le nazisme - maisons en ruines, gare rasée, soldats qui ne sont pas revenus - mais où la vie reprend : « Une voisine s’est arrangé un petit jardin dans le cratère d’une bombe. » Vienne en pleine transformation : « On voit des chantiers à tous les coins de rue. Partout de la poussière, de la saleté, du bruit », avec l’énorme chantier de la Cité de l’ONU « une nouvelle Babylone (…) une ville dans la ville » et celui du métro : « Creuser sous la ville comme des taupes. Imagine un peu ce que l’on va trouver là-dessous. A Vienne, on compte autant de têtes de morts que de pavés.» Des usines de confection ferment parce que les Chinois sont moins chers, des immigrés, Turcs et Yougoslaves, arrivent. Certains s’inquiètent, d’autres ont confiance en l’avenir : la vieille Autriche n’est plus mais des temps meilleurs émergeront sans doute car, comme le dit la logeuse, « il faut toujours que l’espoir l’emporte un peu sur le souci. »
Quand Robert repense à son café, il se demande « comment on avait pu faire tenir tant de gens dans un si petit espace. » L’auteur a su le faire lui aussi dans ce petit livre plein de tendresse et d’humanité.
Le café sans nom, Robert Seethaler, traduit de l’allemand (Autriche) par Elisabeth Landes et Herbert Wolf, Sabine Wespieser éditeur, 2003, 246 pages.
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