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Le livre de Kells, Sorj Chalandon

  • Photo du rédacteur: M. O.
    M. O.
  • il y a 17 heures
  • 2 min de lecture

Après Enfant de salaud consacré à son enfance lyonnaise, Sorj Chalandon poursuit son récit autobiographique. Emancipé à dix-sept ans, il fuit Lyon et sa famille toxique - un père mythomane et violent qu’il appelle « l’Autre », une mère apeurée et soumise. Il rêve d’Ibiza et de Katmandou mais, après un bref séjour en Camargue, c’est à Paris que s’achève son voyage « et lorsque Paris vous prend, il vous garde. » Sans diplôme, sans argent, c’est vite la dégringolade ; le jeune garçon inexpérimenté se retrouve à la rue. Il devient Kells - surnom qu’il prend en référence à un Evangéliaire irlandais. Ce sont alors des mois de galère et de dérive, le froid, la faim, la drogue, les bagarres bien sûr mais plus encore l’humiliation et la solitude. Malgré ses efforts pour garder un minimum de dignité - mettre un franc de côté pour aller aux bains douches une fois par semaine - il sombre dans le désespoir. Dans des pages déchirantes, écrites à la première personne et au présent, il dépeint ses sentiments. Pas de pathos mais des phrases sèches et brutales qui nous font sentir sa souffrance : « La lumière s’est allumée dans l’escalier. Bruit de pas, de voix, un rire plus bas dans les étages. Et la porte qui se ferme. Et moi qui pleure. Personne ne connaîtra jamais la violence d’une porte fermée. Qui claque sur vous dans l’obscurité. Qui abandonne un enfant battu à l’escalier, à l’humidité, à la solitude. »

 

Le hasard lui fait rencontrer des militants de la Gauche Prolétarienne qui l’hébergent, l’adoptent, l’intègrent à leur lutte, l’instruisent. Ils deviennent sa famille. Pourquoi ? Simplement, parce qu’il est un pauvre, un prolétaire, un enfant « tombé du nid ». « Il va falloir tout te réapprendre » lui dit l’un d’eux. Dans le contexte de l’après-68, ces maos rêvent de révolution, multiplient les actions et affrontent les fachos d’Ordre Nouveau. Sorj Chalandon fait revivre les années 70. Avec le recul, il raconte son engagement politique sans le mythifier ni le renier. Il y a des moments de grâce et de grandeur - son style a des accents lyriques lorsqu’il décrit l’immense cortège accompagnant le cercueil de Pierre Overney : « Il était là, le peuple » - mais aussi des côtés sombres. Il n’ignore pas le dogmatisme des militants ni leurs illusions, il n’occulte pas le danger frôlé du terrorisme révolutionnaire. Au coeur de ces deux moments - la rue, la politique - est posée la question de la violence. L’auteur montre la rage qui l’habite, contre son père, contre la misère, rage qui aurait pu l’entraîner au pire. 

 

Au terme de ce parcours initiatique fait de souffrances, de découvertes et de désillusions, le jeune homme s’affirme, trouve son identité, sa place. Sa force, son arme c’est de de savoir tenir un crayon, pour dessiner, et pour écrire.

 

Le livre de Kells, Sorj Chalandon, Grasset, 2025, 380 pages.

1 commentaire


paulettelalande
il y a 5 heures

Encore un livre inoubliable de Sorj Chalandon, poignant et passionnant .

Il est aussi le portrait de l’époque post soixante huit et c’est là aussi qu’il m’a touchée et a résonné très fort en moi car étudiante à Caen entre 1971/1973, j’ai été très proche des Maos et j’ai retrouvé ce mélange de chaleur, de camaraderie et de violence. Je n’ai jamais oublié l’assassinat de Pierre Overney.

Ce qui est aussi bouleversant avec ce livre c’est de réaliser le parcours de Sorj Chalandon depuis l’enfant maltraité, puis le jeune homme à la rue dont le destin aurait pu basculer dans le pire et ce qu’il est devenu : grand journaliste honoré du prix Albert Londres et un de nos meilleurs écrivains…


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