A la fois enquête familiale et livre-hommage, Le remplaçant, réédité cette année mais dont la première publication date de 2009, constitue une manière de préambule au dernier Agnès Desarthe Le Château des Rentiers. L’évocation de fragments d’enfance, des grands-parents maternels et de leurs amis dont certains ont de mystérieux tatouages sur l’avant-bras, de leurs appartements rue du Château des Rentiers où les portes restent ouvertes et dont s’échappe une langue étrange, tout cela y est déjà en germe, écrit avec drôlerie et une infinie tendresse.
Le remplaçant, c’est le grand-père de l’autrice, B.B.B., ou encore Triple B, c’est-à-dire Bouz, Boris, Baruch, trois déclinaisons d’un même prénom pour un homme aux multiples vies : « il a survécu à la guerre, aux camps de prisonniers, à la dépression, à la maladie, à ses deux femmes, à ses amis. Son talent, c’est ça, survivre, aimer ça, oser aimer vivre ». Un grand-père par alliance, doublure jamais à la hauteur de l’absent mort dans les camps de concentration. Ainsi, il est celui que l’on houspille ou que l’on oublie, relégué au rôle d’éternel figurant ; sauf pour sa petite fille qui voit en lui un merveilleux conteur et se régale de ses anecdotes. Il devient ainsi son héros, d’un genre peu banal, assurément plus proche d’un anti-héros, mais qu’importe ? « Mon héros ne s’illustre pas dans les hauts faits, il se contente d’être l’as de la débrouille » note avec tendresse la narratrice. Il n’y a alors qu’un pas, franchi inconsciemment, à le transformer en véritable héros de roman. Le voilà donc volant la vedette à Janusz Korczak, directeur d’orphelinat dont celui du ghetto de Varsovie, auquel Agnès Desarthe s’apprêtait à consacrer un récit : « Le problème, avec les livres, c’est qu’ils n’obéissent pas à leur auteur. On choisit un héros et voilà qu’un personnage secondaire brigue le premier plan […]. Ce livre, celui que je suis en train d’écrire, était censé être le portrait du pédagogue polonais, mais dès les premières pages le lapsus a œuvré. […] Triple B est apparu et je n’ai pas pu faire autrement que raconter son histoire à lui, lui sur qui je ne possède aucune documentation, lui dont j’ai si peu d’image, lui que personne ne connaît et dont tout le monde se fiche ». Tout le monde ? Assurément pas les lecteurs et lectrices du Remplaçant, captivé.e.s et ému.e.s par l’histoire incroyable de cet homme et par la très belle déclaration d’amour d’une petite-fille à son grand-père de cœur.
Le remplaçant, Agnès Desarthe, Editions de l’Olivier, 2023, 128 pages.
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