Difficile de définir ce livre qui n’entre dans aucune catégorie, ou plutôt dans plusieurs. Tout à la fois roman policier, fantastique et autobiographique, il mêle les descriptions réalistes et les réminiscences proustiennes. On retrouve dans Le retour du Bouddha l’univers très personnel de l’auteur des Chemins nocturnes. Dans le Paris des années 1930 éclairé par les réverbères évoluent des personnages étranges, exilés russes excentriques et alcooliques, déclassés, miséreux et marginaux des bas-quartiers… L’auteur les décrit avec une profonde empathie et résume ainsi leur existence tragique : « les courses, l’alcool, la morphine, la prison, la syphilis, la mendicité, la triste débauche dans la crasse, les maladies et l‘épuisement physique, la perspective quotidienne de la mort dans la rue et l’absence totale d’espoir même illusoire d’une quelconque amélioration. » Le narrateur, jeune étudiant, rencontre au jardin du Luxembourg l’un d’eux, un vieux clochard russe à qui il donne dix francs. Deux ans plus tard, il le retrouve, devenu méconnaissable, riche rentier par l’effet d’un héritage inattendu. Lorsque celui-ci est trouvé mort, assassiné, le narrateur est accusé du meurtre. Seule la présence d’une statuette de Bouddha - d’où le titre - permet de le disculper et de trouver le coupable.
Certes, il y a meurtre et enquête, mais l’intrigue est vite élucidée et l’intérêt du livre réside davantage dans l’atmosphère créée. Au coeur du roman il y a le sentiment d’instabilité - éprouvé bien sûr par l’auteur, lui-même exilé, dont la vie a été bouleversée par la révolution bolchevique. Le narrateur, au bord de la folie, est en proie à des hallucinations où réalité et imaginaire se mêlent, où passé, présent et futur se télescopent de manière troublante : « L’espace dans lequel se déroulait mon existence était dénué, à mes yeux, de contours clairement définis et en quelque sorte définitifs, il n’avait rien de constant. » Le réel se transforme, les êtres se métamorphosent, les vies basculent sous l’effet du hasard ou du destin. L’assassin lui-même n’est finalement qu’une victime pitoyable que la société élimine : « et enfin, après la prison, l’air froid d’une aube automnale, la passerelle menant à la guillotine, un peu de rhum et une cigarette avant la mort.» Les amours passées renaissent et le narrateur part à la recherche de Catherine, fantôme du passé qui resurgit. La phrase sinueuse de Gazdanov, à l’image de cette réalité mouvante, suit l’esprit du narrateur : « Ce flot de pensées, d’images et de mots qui mêlaient les temps et les genres avec une liberté inouïe. » Il faut accepter de se laisser emporter par cette écriture inventive et personnelle.
Journal d’un fou, peinture des bas-fonds, plaidoyer contre la peine de mort, histoire d’amour… Le retour du Bouddha est tout cela et surtout l’oeuvre d’un authentique écrivain.
Le retour du Bouddha, Gaïto Gazdanov, traduit du russe par Chantal Lebrun Kéris, Viviane Hamy, 2002, 192 pages.
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