Dans une petite bourgade tranquille au fin fond des Etats-Unis, un shérif enquête sur le meurtre d’une jeune fille sans histoire. Sur ce canevas convenu de thriller américain, Marie Vingtras construit un roman original qui n’a de cesse de surprendre le lecteur. L’autrice y joue avec les stéréotypes du genre et en renouvelle la narration. Ainsi, dans cette ville de campagne profonde, le shérif est une femme qui aime une autre femme. Lauren sait que sa légitimité ne va pas de soi, certains n’attendent qu’un faux pas pour l’évincer. Son adjoint, parangon de masculinisme toxique, ne laisse pas passer l’occasion de la supplanter.
La première partie, « printemps », s’achève, assez abruptement, et il faut quelques lignes de la suivante, « été », pour se rendre compte que la narration n’est plus portée par Lauren. Il en est de même pour les deux parties suivantes, « automne » et « hiver ». Le lecteur, même averti, n’en est pas moins déstabilisé. Quel personnage a pris le relais du récit ? Au lecteur d’identifier cette nouvelle voix par de menus indices et d’accepter de laisser en suspens le personnage précédent. Par ce procédé ingénieux, les pièces du puzzle s’assemblent lentement, obligeant le lecteur à mener sa propre enquête, à construire ses propres hypothèses. Chaque personnage-narrateur est porteur d’un secret, d’une histoire et d’une personnalité bien plus complexes que la narration ne le laissait jusqu’alors présager. Dans cette petite ville où tout le monde se connait et où tout se sait, chacun porte un masque et tout n’est finalement qu’apparence, comme le nom de la ville « Mercy » (miséricorde en anglais). C’est ce vernis qu’écaille minutieusement l’autrice grâce à sa ronde de personnages, « âmes féroces » qui parviennent si bien à duper les autres. Le plaisir de la lecture de ce roman prenant repose pour beaucoup sur cet effet de surprise renouvelé à chaque partie, nous n’en dirons donc pas plus, si ce n’est que Les âmes féroces se dévore avec avidité.
Les âmes féroces, Marie Vingtras, éditions de l’Olivier, 2024, 272 pages.
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