« Les exportés » du titre, ce sont les membres de la famille maternelle de Sonia Devillers qui ont quitté la Roumanie pour la France dans les années 60 : son arrière-grand-mère, ses grands-parents Harry et Gabriela, sa tante, sa mère. De ce pays quitté et tant aimé, l’autrice sait pendant des années bien peu de choses : quelques anecdotes édulcorées appartenant à la mythologie familiale et le pressentiment d’un traumatisme profond dans le silence douloureux de sa mère. La Roumanie incarna ainsi longtemps aux yeux de Sonia Devillers un pays à part, « une zone blanche », que les atrocités de la Seconde Guerre Mondiale n’avaient pas concerné, avant qu’elle ne découvre « un pays dégoulinant de rouge, balayé par la rage, inondé par la peur, loin de la petite enclave tranquille épargnée par la guerre ». L’histoire des Juifs de Roumanie au siècle dernier fut en effet l’objet d’un révisionnisme étatique qui traversa les différents régimes. Sonia Devillers s’emploie à rétablir la vérité historique en dévoilant toute l’horreur : des massacres, pogroms, déportations organisés par le gouvernement fasciste roumain d’Antonescu qui effarèrent les nazis eux-mêmes -et leur servirent de modèle- à la marchandisation des Juifs roumains par le régime communiste de Gheorghiu-Dej, puis de Ceausescu. La famille de Sonia Devillers fait partie de ces hommes et femmes, tous juifs, qui furent troqués contre du bétail à partir de 1958 et dont la déclassification des archives de la Securitate permet de retrouver l’inconcevable commerce : « Tout, de ce grand commerce de Juifs, s’y trouvait minutieusement consigné. Des listes sont ainsi apparues au grand jour. On a découvert qui avait été vendu et pour combien. La valeur de chaque ressortissant juif était établie par écrit, convertie en animaux d’élevage d’abord, en billets verts ensuite. » Des « exportés » donc, poussés de force hors d’un pays qui n’eut de cesse de les persécuter avant de s’en débarrasser. Les chiffres avancés par Sonia Devillers parlent d’eux-mêmes : 750 000 juifs avant la Seconde Guerre mondiale vivaient en Roumanie, « quatre décennies plus tard, lorsque Nicolas Ceaucescu fut renversé en 1989, les Juifs étaient moins de 10 000 dans le pays ».
Un récit intimiste et historique effroyablement éclairant.
Les Exportés, Sonia Devillers, Flammarion, 2022, 288 pages.
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