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Photo du rédacteurFleur B.

Melancolia, Mircea Cӑrtӑrescu

Dernière mise à jour : 19 juin 2023

Cinq récits enchanteurs et terrifiants, entre nouvelles fantastiques et contes merveilleux, composent le recueil Melancolia de l’auteur roumain Mircea Cӑrtӑrescu. Bouleversant.


Le recueil est composé d’un épilogue et d’un prologue, « deux contes » selon la présentation de l’éditeur, encadrant trois nouvelles « liées entre elles par toutes sortes d’écho » - qui ont elles aussi tout du conte tant le merveilleux s’y mêle incessamment au réel. Les nouvelles offrent un parcours à travers les âges de l’enfance - petite enfance, enfance, adolescence-, trois récits initiatiques qui entremêlent les mêmes thèmes : la solitude, le passage, le temps, le corps, la métamorphose. L’écriture, mélancolique et poétique, - et admirablement traduite par Laure Hinckel-, s’attarde sur la lumière, scintillements, reflets ou ombres ; elle donne ainsi une inquiétante étrangeté au monde dans lequel vivent les trois protagonistes : « Lumineuse, la cuisine était presque transparente le matin, devenait sans vie, comme un dessin, vers midi, et le soir la lumière s’y faisait rouge sang, très sombre, peignant les murs, en larges rayures d’ambre. » L’appartement des garçons est une sorte de cocon, une matrice protectrice quand le monde au-dehors a tout de la forêt merveilleuse des contes. Ni rêve, ni réalité, les récits appartiennent à un « troisième état, de sortilège, d’enchantement », qui donne son originalité, et sa saveur, au recueil. La poésie surgit du quotidien, de lieux ou d’objets anodins, une cuisine, un emballage de chocolat en aluminium. Elle tisse des échos entre les nouvelles, comme cette interrogation qui devient litanie : « Comment neige le destin ? ». Elle devient un monde, celui dans lequel vivent les personnages : « Ivan soupçonnait depuis longtemps qu’il vivait dans un grand poème. La métamorphose du papillon, dont il apprenait alors les détails, venait confirmer cette sensation »

Dans le prologue, « La Danse », sorte de légende immémoriale, un pêcheur accoste sur l’île d’un palais légendaire, « fait de nulle main humaine ». En son centre se trouve « L’Issue », convoitée par tous mais jamais atteinte car « surveillée par un gardien terrifiant qui rendait le passage impossible ». Lorsqu’il y parvient, commence pour le pêcheur un combat interminable qui prend la forme d’une danse, « la danse mortelle, la danse finale, la danse de toutes les danses ».

Dans la première nouvelle, « Les Ponts », un tout jeune garçon vit seul dans un appartement au cœur d’une grande ville depuis que sa maman a disparu. La nuit venue, il s’évade de l’appartement grâce à des ponts tendus à partir des fenêtres et part explorer une ville plus fantasmagorique qu’endormie. Une nuit, un troisième pont apparaît « qui ne s’arquait pas au-dessus des grands vides comme ceux des nuits d’avant, mais qui jaillissait vers le haut, ferme et élancé, tel un jet de lumière glacée. Son extrémité lointaine n’était plus de ce monde. »

La seconde nouvelle, « Les Renards », commence comme un conte : « Il était une fois deux petits frère et sœur, Marcel et Isabel, qui vivaient dans une ville lointaine où les maisons faisaient comme des bleus sur le teint pâle du ciel. » Les parents des enfants sont inconsistants, désincarnés, comme tout ce qui les entoure est « brime, vent et questionnement», si bien que Marcel et Isabel semblent vivre seuls dans leur chambre-terrier au milieu de la forêt. Le petit garçon emploie ses journées à faire vivre à leurs jouets des aventures incroyables pour ravir sa petite sœur. La nuit venue, les jeux continuent mais prennent une nouvelle forme : « Leur jeu nocturne était toujours le même. Ils étaient deux petits lapins qui vivaient heureux dans un terrier, au chaud, sous la terre gelée. » Un soir cependant, le jeu n’en est plus un.

Dans la troisième et dernière nouvelle, « Les Peaux », un adolescent de quinze ans souffre d’une profonde solitude. Un jour, il trouve les peaux de son père dans une vieille valise ; les siennes sont accrochées dans la penderie, mais celles de sa mère, où sont-elles ? Il a beau chercher, il ne les trouve pas, tout comme ses camarades ne peuvent trouver celles de leur mère. Les fœtus, les garçons puis les hommes muent. Mais les filles, les femmes ? Le mystère féminin s’épaissit alors qu’il rencontre Dora dont il tombe amoureux.

L’épilogue, « La Prison », s’apparente au long monologue d’un condamné, dans la solitude la plus totale, et dans l’immuabilité du temps : « Strate après strate, ma cellule m’enserre, m’écrase, me liquéfie en elle, m’empêche, telle une douleur atroce et interminable, de penser avec clarté, d’exister vraiment. »

Effrayant, la cohérence du recueil de Mircea Cӑrtӑrescu stupéfie. Et invite le lecteur à une nouvelle lecture.


Melancolia, Mircea Cӑrtӑrescu, traduit du roumain par Laure Hinckel, Les Éditions Noir sur Blanc, 2021, 208 pages

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