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Mon vrai nom est Elisabeth, Adèle Yon

A 25 ans, alors qu’elle vit une crise amoureuse, la narratrice craint de devenir folle, comme son arrière-grand-mère Elisabeth, dite Betsy. Diagnostiquée schizophrène, celle-ci a passé dix-sept ans de sa vie dans un hôpital psychiatrique et a été la première française à subir une lobotomie. Bien des femmes de sa famille ont connu cette même peur, attisée par le présupposé qu’elles seraient « fragiles » et la schizophrénie héréditaire : « A vingt-cinq ans, on a toutes posé des questions sur Betsy ». En enquêtant sur cette aïeule, Adèle Yon opère un travail de déconstruction des mythologies familiales et du diagnostic. Ainsi, elle réhabilite son arrière-grand-mère au sein de la famille : « Maman, c'était un non-sujet » confie « la fille cadette ». Sujet tabou, le fantôme de Betsy hante tous les membres de la famille. Au cours de son investigation, en premier lieu auprès des siens, Adèle Yon rencontre des fins de non-recevoir. Sa grand-mère elle-même distille les informations sur sa mère, jusqu’au suicide soigneusement planifié de son frère qui s’était éloigné de la famille : « Jean-Louis est mort, et les membres de ma famille se sont mis à parler. »


Mon vrai nom est Elisabeth enchevêtre plusieurs strates qui se singularisent dans leur mise en page : le récit de l’enquête, la transcription des entretiens de l’autrice avec certains membres de sa famille, des archives médicales, des photographies et la correspondance entre Betsy et André, son mari. Les lettres d'André éclairent la soi-disant folie d’Elisabeth et créent chez le lecteur un profond malaise. Alors qu’ils sont encore fiancés, leurs échanges montrent tout le poids du patriarcat qui va s’abattre sur Betsy et l’anéantir. André, déjà, cherche à modeler une épouse soumise et obéissante : « Il est impossible que deux personnalités aussi fortes que les nôtres puissent coexister sans frottements, sans que l'une ne cède généralement à l'autre. Et je crois que c'est la raison pour laquelle l'Eglise demande à la femme d'obéir à son mari. Je vous demande de réfléchir sérieusement à cette idée, je crois que sa mise en pratique améliorerait beaucoup notre vie conjugale. » lui écrit-il. La sidération gagne à nouveau le lecteur lorsque l’autrice retrace l’histoire de la lobotomie dans des pages édifiantes. Dans les années 40, le psychiatre américain Walter Freeman banalise cette pratique. Il parcourt le pays armé d'un pic à glace et effectue des lobotomies comme à une époque révolue circulaient de ville en ville les arracheurs de dents.


L’autrice agence avec finesse cette matière hétéroclite. Le récit se lit presque comme un roman policier. Il progresse de dévoilement en dévoilement, sur la vie de Betsy mais aussi sur les rouages sous-jacents qui ont conduit à l’enquête elle-même. Un an avant de commencer ses recherches sur son aïeule, Adèle Yon travaillait à une thèse sur le thème du « double fantôme » au cinéma, notamment dans le film Rebecca : « C'est là, dans ce film d'Alfred Hitchcock de 1940, que cette figure m'est apparue pour la première fois : celle d'une femme à moitié vivante à moitié morte qui hante un autre personnage féminin ». Mon vrai nom est Elisabeth s’y est substitué, exorcisme de son propre double fantôme.


Adèle Yon renouvelle le récit d’enquête familiale avec beaucoup d’ingéniosité. Un premier livre particulièrement réussi.


Mon vrai nom est Elisabeth, Adèle Yon, éditions du sous-sol, 2025, 400 pages.

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