Le titre du dernier roman d’Éric Reinhardt présente les trois protagonistes et brouille d’emblée les frontières entre fiction et réalité. En effet, l’écrivain raconte à Sarah l’histoire de Suzanne, son double fictif, c’est-à-dire le récit de sa propre vie déformée par le prisme de la fiction. Toute similitude avec des faits réels n’est pas fortuite. On se souvient peut-être qu’Éric Reinhardt fut mis en cause par une lectrice qui s’était reconnue en Bénédicte Ombredanne, l’héroïne de L’amour et les forêts. Dans Sarah, Suzanne et l’écrivain, l’écrivain imagine sa rencontre avec celle qui lui a confié son histoire pour en faire l’intrigue de son nouveau roman.
Suzanne décide de reprendre sa vie en main après un cancer du sein. Elle quitte son travail pour se consacrer à l’écriture. Par hasard, elle apprend que la répartition des dépenses au sein du foyer la lèse depuis le début de son mariage : à elle les frais généraux du quotidien, à son mari la charge des biens fonciers. Pire encore, elle découvre ne détenir que le quart de leur domicile. Elle proteste, somme son époux de rétablir l’équité mais il n’en fait rien. Pour le pousser à réagir, elle quitte le douillet domicile familial et s’installe dans un logement proche de l’insalubrité. Ses enfants s’éloignent d’elle, son mari refuse de lui parler et bientôt elle est à court d’argent. De déconvenue en déconvenue, Suzanne expérimente non pas la liberté mais l’abandon, la solitude, le désespoir. Un malaise grandissant saisit le lecteur qui, impuissant, voit Suzanne sombrer dans la folie, annihilée par la violence silencieuse de son mari.
Le dispositif narratif, astucieux et malicieux, mêle dialogue et narrations. Double du lecteur, Sarah écoute, interrompt, rectifie, questionne, s’agace ou s’insurge d’un cliché. Elle raconte aussi, reprend le fil de sa propre histoire en miroir de celle de son moi fictif. Les voix se succèdent à l’insu du lecteur qui s’y perd : s’agit-il de Suzanne ou de Sarah ? Au fil des pages, l’histoire de l’une éclaire celle de l’autre, en explore un autre possible. Fiction et réalité dialoguent et se confondent - jusqu’à l’acmé finale. Alors qu’il raconte une anecdote autobiographique, l’écrivain lui-même ne les dissocie plus: « Voilà que je parle de moi, Sarah, à la troisième personne, c’est bien la preuve que ce que l’on vit nous propulse dans des espaces mentaux qui font de nous, de nous tous, des personnages de fiction.»
Si la virtuosité du roman tient dans le dédale de sa construction narrative, le style en est aussi alourdi et le récit y perd en force et en nervosité. Car, malgré quelques longueurs, ce roman se lit comme un thriller : une lente descente aux enfers d’une femme idéaliste et naïve.
Sarah, Suzanne et l’écrivain, Éric Reinhardt, Gallimard, 2023, 415 pages.
Comentários