Fille unique, Stéphanie Dupays grandit à la campagne auprès de ses parents et de sa grand-mère maternelle qui a été marquée cruellement par la vie. Elle a perdu très jeune ses frères, son père, puis sa mère, morte de chagrin, le « cœur brisé ». Ce destin d’orpheline imprègne depuis la lignée, un sentiment d’insécurité en héritage : « il y a ce sentiment de catastrophe imminente contre lequel je dois lutter en permanence ». Mais un jour, effectuant des recherches généalogiques pour sa mère, la narratrice découvre dans un registre de décès des dates qui mettent à mal la mythologie familiale : « Anne Dèche née Décimus 14 mai 1875-14 mars 1964 ». Son arrière-grand-mère n’est donc pas cette figure romanesque et romantique qui a succombé à la perte de son amour. Stéphanie Dupays découvre qu’elle fut internée à l’hôpital psychiatrique de Bordeaux. Commence une enquête pour découvrir les raisons de cet internement et de sa durée car « il faut faire quelque chose avec les morts. Surtout quand, de leur vivant, ils ont été si peu entendus ». Les recherches sont longues et laborieuses mais peu à peu la narratrice collecte des informations, remonte des pistes et accède à des archives où se trouve l’épais dossier médical de son arrière-grand-mère. Celui-ci contient des lettres et poèmes signés « Anne Décimus, fille du soleil ». L’abondante correspondance avec ses médecins révèle à la fois la détresse, les accès de lucidité comme de folie de celle qui affirme avoir « un puma dans le cœur ».
L’écriture, tout en retenue et en pudeur, est - hommage à son aïeule ? - parsemée de petits poèmes : « Quand je ne sais que penser, j’écris ; je tente de retrouver les quelques lambeaux dont je dispose [...] Et quand l’émotion déborde de la phrase, je l’attrape dans le vers ». Les titres-citations des courts chapitres participent à la poéticité de ce beau récit. Pour l’autrice, les mots s’inscrivent dans une double filiation : aux écrits célébrés des grandes figures littéraires s’ajoutent ceux, étouffés, d’Anne Décimus. Stéphanie Dupays mêle à l’histoire de son arrière-grand-mère celle de ses recherches, véritable enquête sur le (dys)fonctionnement des hôpitaux psychiatriques au XXème siècle : diagnostic rapide et définitif, isolement, traitements qui s’apparentent à de la torture … Le long internement d’Anne Décimus permet de retracer l’évolution des pratiques médicales en psychiatrie et de la prise en charge des aliéné.e.s. Même si, malgré les archives, des questions demeurent, des blancs persistent, Stéphanie Dupays fait entendre la voix de son aïeule. Avec Un Puma dans le cœur, Anne Décimus a enfin un tombeau : « Les morts sans sépulture, les morts sans lieu, les morts sans inscription, les morts sans écriture deviennent des fantômes menaçants. Les évoquer, c’est leur rendre hommage ; les relier à l’histoire présente et les remettre à leur place.»
Un Puma dans le cœur, Stéphanie Dupays, 2023, éditions de L’Olivier, 152 pages.
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