Parus la première fois en 1916, en pleine guerre, les articles de Marcelle Capy avaient été censurés et amputés de la moitié du texte. Une édition intégrale, publiée en 1936, à l’initiative de la journaliste elle-même qui sentait revenir le péril de la guerre, rétablit le texte complet avec une préface de Romain Rolland : « Ce livre a vingt ans. Il parut en avril 1916. La moitié de ses pages étaient blanches. On y lisait, à la place du texte interdit, ces quatre mots : " Coupé par la censure ". C’était la guerre ; et la guerre tue la liberté de penser, d’écrire, de juger, et même de pleurer, afin de pouvoir tuer les hommes.» L’édition actuelle, à l’occasion du centenaire de la Première Guerre, reprend cette édition.
Journaliste engagée, Marcelle Capy dénonce, en termes simples et incisifs, l’horreur et l’absurdité de la guerre : « Ils avaient vingt ans. Ils aimaient. Ils voulaient vivre. La mitraille les a fauchés. » Elle démasque avec vigueur, parfois avec ironie, le mensonge de la propagande militariste et l’hypocrisie des discours pompeux, loin de la réalité sordide, en donnant la parole aux poilus eux-mêmes : « Les Allemands? Ce sont des hommes comme les autres. » Les articles sont regroupés en plusieurs parties : « Ceux qui se battent », « Ceux qui pleurent », « Ceux qui sauvent ». Elle décrit ainsi, dans des scènes marquantes, les conséquences de la guerre sur ceux et celles de l’arrière, l’enrichissement et le cynisme des « planqués », la misère et l’organisation des soupes populaires. La situation des femmes attire particulièrement son attention : paysannes qui assument seules les travaux de la ferme, ouvrières soumises à des cadences intensives dans l’industrie de l’armement. Comme des années plus tard Florence Aubenas, Marcelle Capy va même jusqu’à s’embaucher comme ouvrière afin de connaitre les conditions de travail dans ces usines. Elle évoque aussi la détresse des réfugiés du Nord de la France ayant fui l’ennemi - comme cet homme venu de Lille à Paris qui n’a emporté, dans sa panique, que son chardonneret ou cette femme contrainte à abandonner son enfant qu’elle ne peut plus nourrir.
L’édition actuelle a fait le choix judicieux de marquer par la typographie les passages supprimés en 1916, ce qui permet de connaitre ce qui avait été jugé insupportable aux yeux des censeurs. Deux thèmes dominent : la mise en accusation des gouvernants et la lassitude, la désillusion des soldats et leurs actions contraires à la doxa patriotique. Ainsi le récit par un soldat de cette scène marquante lorsqu’il se trouve, lors d’une reconnaissance, seul face à un soldat allemand et que tous deux, désireux de vivre, décident de repartir sans tirer. Tout ce qui peut entraîner la démoralisation de la population, tout ce qui considère le « Boche » comme un homme, un égal, est jugé dangereux. Et, plus encore, lorsque c’est une femme qui s’exprime, comme le dit la censure : « Si ce livre avait été écrit par un homme, je vous accorderais l'autorisation car cela prendrait une allure politique […] Ce livre est écrit par une femme et c'est là le danger. Si nous laissons parler les femmes, où irons-nous ? "
Socialiste et féministe, Marcelle Capy espère en des jours meilleurs et exhorte les femmes à la solidarité : « Pendant que la bestialité s’est réveillée hurlante dans la chair de tant d’Européens qui se croyaient civilisés, nous, les femmes, instruisons-nous. […] Cultivons notre esprit. Apprenons. Lisons. Aimons le livre. Il nous rendra meilleures. »
Marcelle Capy, Une voix de femme dans la mêlée, Entre-Temps éditions, 2015, 188 pages.
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