Le dernier roman de Maryline Desbiolles n’est pas une course de relais comme son précédent ouvrage Il n’y aura pas de sang versé, mais plutôt une course d’obstacles, faite de sauts et même de chutes, ou un trail, une course sinueuse en terrain accidenté. L’écriture épouse en effet la présence au monde de son héroïne : « capricante » quand, déjà blessée, elle dévale les collines ; galopante quand elle est encore « l’athlète » de l’Escarène ; tourbillonnante, quand, convalescente, « elle fouit la danse au-dedans d’elle et l’en extrait d’un même mouvement ». Le nom même d’Emma Fulconis la définit comme un personnage virevoltant, toujours en mouvement. La beauté du roman tient avant tout à ce personnage feu follet, « vif argent » animé par une inaltérable force de vie. Ainsi quand, son péroné broyé par la morsure d’un chien, elle est privée de son passe-temps favori, la course à pied, Emma ne ressent ni colère, ni peur, ni rancœur. Meurtrie dans sa chair, elle l’est plus profondément encore par les mots : « Mon chien n’aime pas les Arabes, et la phrase la tourmente, oui, plus que le chien, la phrase la tourmente ». Emma part alors en quête de ses origines et redécouvre un lieu familier, halte de ses cavalcades : le hameau de forestage, dans lequel vécurent des familles de harkis, « les traîtres pour les Algériens et les moins-que-rien pour les Français », dont celle de sa mère.
Maryline Desbiolles sonde les origines de la violence et de la peur de l’autre dans notre société à travers un petit village paisible et a priori sans histoire, L’Escarène. La narration, comme dans les tragédies antiques, est portée par un chœur de villageois, témoins stupéfaits des évènements relatés. A L’Escarène qui l’a vue naître et grandir, Emma fait l’expérience de la haine, comme ses aïeux, comme certains migrants passant par les Alpes, et comme ce jeune homme, nouvellement arrivé au village, battu à mort le 12 octobre 2022. Si le titre renvoie explicitement au terme latin « fibula » (agrafe), autre nom donné à l’os du péroné, il évoque aussi la composition du roman qui juxtapose le fait divers à la fiction, le passé au présent, la petite histoire à la grande, tout en refusant que « tout s’emboîte un peu trop bien ». Car, pour l’autrice, « il faut tenir aux bribes, manques, mots écorchés. »
L’Agrafe, Maryline Desbiolles, Sabine Wespieser éditeur, 2024, 152 pages.
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