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Photo du rédacteurM. O.

Amateur d’art, Alias Caracalla 1946-1977, Daniel Cordier

Le dernier tome des mémoires de Daniel Cordier fait découvrir une nouvelle facette de sa vie passionnante : celle du galeriste et collectionneur.


Aux lendemains de la guerre, l’ancien secrétaire de Jean Moulin, âgé de vingt-cinq ans, se trouve libre et désoeuvré, sans formation ni emploi. Un héritage familial le mettant à l’abri du besoin, il mène une vie de dilettante : « N’ayant aucun but dans la vie (…) je m’abandonnai au hasard des événements ou plutôt aux hasards de la vie quotidienne. » Ceux-ci le conduisent, à travers des achats coups de coeur et des rencontres avec des artistes qui sont autant de passeurs, vers la découverte de l’art contemporain. Mais peut-on seulement parler de hasard alors que c’est Jean Moulin qui a initié le jeune homme ignorant à la peinture moderne? Se tourner vers l’art contemporain c’est une autre manière d’être fidèle au « patron », au mentor. Le jeune Daniel Cordier envisage d’abord d’être peintre et s’inscrit à l’atelier de la Grande Chaumière ; il pense aussi brièvement à la prêtrise. Finalement, ni peintre, ni prêtre, il sera galeriste.

 

S’ensuit le récit de ses années de marchand de tableaux, « huit ans d’agitation », 1956-1964, pendant lesquels il expose et défend les peintres qui lui sont chers dans sa galerie parisienne et dans celles qu’il ouvre à New-York et à Francfort. Ce qui l’intéresse, ce qui l’attire, loin des valeurs sûres, de la peinture décorative qu’il appelle « la peinture-peinture », ce sont les artistes en rupture comme Bellmer, Dadot, Dewasne, Michaux, Réquichot… et surtout Dubuffet. Il aime la nouveauté radicale de cet artiste qu’il expose à de nombreuses reprises et avec qui il noue une amitié intense : « Le point commun de ces oeuvres était d’être offensant pour le bon goût et, tout simplement, pour l’art, dans une joyeuse furie de destruction.» Mais, peu à peu, malgré un certain succès financier, ou justement à cause de celui-ci, Daniel Cordier décide de fermer sa galerie. Il voit venir le moment où Paris cesse d’être la capitale de l’art moderne au profit de New-York. Il ne veut pas devenir un commerçant, un négociant dans la lignée de sa famille qu’il a fuie. Il veut rester un amateur. Il sent que ce métier l’éloigne de sa passion première de découvreur et de collectionneur : « Avec la galerie, qui avait pignon sur rue, j’en étais arrivé à ce moment où (…) j’avais le sentiment d’être dominé par la situation au lieu de la maîtriser. » Toujours, le goût de la liberté.

 

Il part alors pour une série de voyages. Voyages déjà commencés dans les années 50 avec un séjour en Afrique, deux en URSS. Voyager, pour Daniel Cordier, c’est partir plusieurs mois, faire deux fois le tour du monde avec le désir de découvrir les différentes formes d’arts et de civilisations, revenir avec des milliers de photos et passer des mois à lire pour digérer et comprendre avec l’appétit et la curiosité d’un autodidacte. Dans les années 1970, il participe aussi à la création du centre Beaubourg auquel il donne une grande partie de sa collection.

 

Au récit se mêle une réflexion personnelle sur l’art, la peinture, sa définition et son évolution, voire sa révolution au cours du XX° siècle. Il attribue un rôle fondamental à Duchamp : « Picasso était le dernier avatar de la peinture traditionnelle, dont il mettait en pièces les découvertes (…) Duchamp, lui, était le terme volontaire et proclamé non seulement de la peinture (…) mais de la conception même de l’art. » Il explicite sa fascination pour les travaux de Dubuffet - à qui il consacre une biographie inachevée au titre provocateur Monsieur et Madame Dubuffet n’ont pas eu le fils qu’il méritait.  Il analyse le fonctionnement du marché de l’art, les ambiguïtés du métier de galeriste, les pièges de la récupération. Tout ce à quoi il tente d’échapper, lui qui se définit comme « amateur d’art ».

 

Résistant, galeriste ou collectionneur, Daniel Cordier reste un homme libre et passionné.

 

Amateur d’art, Alias Caracalla 1946-1977, Daniel Cordier, Gallimard, 2024, 356 pages.

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