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Photo du rédacteurM. O.

Chemins nocturnes, Gaïto Gazdanov

Russe exilé devenu chauffeur de taxi, Gaïto Gazdanov dépeint le Paris nocturne des années trente. Portraits pittoresques et récit empreint de mélancolie.

Né en Russie en 1903, Gazdanov s’engage en 1917 dans l’armée Blanche. Contraint à l’exil, il part en Turquie puis à Paris où il exerce pendant plus de vingt ans la profession de chauffeur de taxi tout en écrivant des articles, des romans et des nouvelles. Ses ouvrages n’ont été publiés en Russie que dans les années 1990, vingt ans après sa mort.

Sous la plume du narrateur qui décrit ses courses et ses rencontres c’est tout un Paris disparu qui émerge, un Paris à la fois réaliste et fantastique, plus proche de Balzac ou de Baudelaire que du XX° siècle avec ses rues mal éclairées, ses hennissements de chevaux, ses quartiers populaires et ses personnages fantomatiques. Princes déchus, anciennes mondaines, épaves errantes parfois juste entrevues le temps d’un croquis, Gazdanov décrit ces êtres déshérités avec une acuité, une précision quasi photographique, qualité due à son métier de chauffeur nocturne habitué à enregistrer d’un coup d’oeil les moindres détails. Parce qu’il est lui-même un exilé, un errant, marqué très jeune par l’expérience de la guerre, il éprouve à leur égard une profonde empathie : « j’ai toujours été attiré par la tristesse d’autrui, lointaine et étrangère, comme j’ai toujours été hanté par le fantôme de la mort des autres. » Plus déambulation et divagation que narration, le livre suit cependant, au gré des rencontres, certains personnages attachants - Raldi, la vieille courtisane, Fédortchenko et son ami Vassiliev obsédé par les bolcheviks, Platon le philosophe alcoolique… Il déroule le fil de leur destin tragique, de leur lente dégradation, pitoyable et drolatique, vers la folie et la mort.

Tout le récit oscille entre deux pôles, Paris et la Russie et entre deux temps, le présent et le passé. Les souvenirs du narrateur refluent dans des vagues de nostalgie ; une odeur, un son, un mot peut soudain faire resurgir le pays perdu : « Immédiatement, je revis la petite garde de province, les voies de garage, les rails enneigés, les cadavres de chevaux dont les chiens arrachaient les entrailles avec un gloussement caractéristique, la faible lumière des lanternes de la station où tourbillonnait la neige poussiéreuse, dans l’air froid et unique de ma patrie. » Gaïto Gazdanov reste à jamais marqué par l’exil : « aucune consolation depuis l’instant où, par une étouffante soirée d’automne, un bateau plein à craquer avait pris le large sur une mer agitée, quittant pour toujours les côtes de la Crimée vaincue. » Russe viscéralement attaché à son pays et à sa langue natale dans laquelle il écrit toute son oeuvre, il parle aussi un français parfait sans accent. Taxi la nuit, écrivain le jour, il fréquente des milieux différents et vit une double vie. Pour échapper à ce déchirement, certains de ses compatriotes se réfugient dans l’alcool, la mythomanie ou la folie ; lui dans la lecture et l’écriture.

Sinueux et envoutant, ce livre atypique a le « charme singulier et désespéré » d’une mélodie tzigane. 

Chemins nocturnes, Gaïto Gazdanov, traduit du russe par Elena Balzamo, Viviane Hamy, 1991, 264 pages.

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