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  • Photo du rédacteurM. O.

L’Ukrainienne, Josef Winkler

Déplacée de force en Autriche à l’âge de quatorze ans, Nietotchka, l’ukrainienne, raconte sa vie et ses souffrances à travers la plume de Josef Winkler.

En 1981, alors qu’il écrit son troisième roman et désire quitter Vienne, le romancier autrichien Josef Winkler loue une chambre pendant un an dans une ferme de Carinthie. Peu à peu, un lien s’établit avec la fermière qui lui raconte son histoire et celle de sa mère. Elle parle, se confie et l’auteur l’écoute, l'enregistre. Une compréhension, une complémentarité même, s’établit entre ces deux êtres si différents. Il retrouve à travers elle ses racines paysannes et sort de sa dépression : « Nietotchka Vassilievna m’a extirpé de mon recoin où les araignées avaient déjà tissé leurs toiles. » Elle éprouve le besoin de dire, de faire connaitre grâce à lui sa vie et ses souffrances : « Si seulement je pouvais l’écrire, tout ça, je me disais toujours (…) et puis (…) tu es arrivé, toi, et avec ton aide je peux dire ce que j’ai à communiquer à ce monde. »

Après une première partie où il explique sa rencontre avec le lieu et ses habitants, son état d’esprit à ce moment-là, l’auteur laisse la parole à sa logeuse. Il retranscrit son récit à la première personne avec son oralité, ses redites, ses digressions. On a ainsi véritablement l’impression - et c’est là une des grandes réussites de ce livre - d’entendre la voix de cette femme qui nous parle. Défile ainsi à travers son histoire personnelle toute l’histoire tragique de l’Ukraine au XX° siècle. La première guerre mondiale d’où son père revient estropié ; la confiscation de tous les biens par les chefs du kolkhoze ; la famine des années 1930, l’Holodomor, la dysenterie… Et puis l’arrivée des Allemands en 1943, d’abord accueillis par certains comme les sauveurs qui pourraient les délivrer de la terreur communiste, et la déportation des jeunes garçons et filles emmenés travailler à l’Ouest. A l’âge de quatorze ans Nietotchka (ainsi que Lidia, sa soeur plus âgée) arrive ainsi dans une ferme des montagnes autrichiennes au terme de trois semaines de voyage dans des wagons à bestiaux. Arrachée à sa mère, plongée brutalement dans un pays inconnu et une langue incompréhensible, la jeune fille désespérée pense qu’elle ne survivra pas un an dans cet environnement hostile. Mais la vie continue, la petite ukrainienne apprend le dialecte, elle épouse le jeune fils des fermiers, se convertit au protestantisme, a cinq fils. Trente ans plus tard, elle témoigne : « Même quand on est dans une situation désespérée, on doit mobiliser ce qui reste de forces et d’espoir pour que ça continue quand même ». Cette force de survie elle la puise sans doute dans son enfance et dans l’amour et le courage de sa mère, Hapka, femme remarquable d’endurance et d’intelligence qui a lutté seule pour protéger ses filles. Des lettres adressées par celle-ci à Nietotchka et Lidia figurent en annexe et ajoutent à la simplicité tragique de cette histoire vécue.

Au fil des ans, Nietotchka qu’on appelait « la Russe » est devenue Valentina Steiner ou la « Starzer Vale », prenant, selon l’usage local, le nom de son mari ou celui de la ferme. Mais sous cette identité nouvelle persiste le passé refoulé et le besoin de le faire connaitre. Plus encore puisque son village d’origine a disparu dans les années 1950 lors de la construction d’un barrage sur le Dniepr : « Mon village natal de Doubynka est englouti dans la mer de Krementchouk. Et mon enfance avec. »

Sous la plume de Josef Winkler, Nietotchka et Hapka deviennent des héroïnes dignes d’un roman russe : « Chez DostoÏevski, chez Tchékhov, chez Gorki, chez Tourguéniev, le long du Dniepr, je cherche encore des traces de la petite Nietochkha Vassilievna Iliachenko ».

L’Ukrainienne, Histoire de Nietotchka Vassilievna Iliachenko la déplacée, Josef Winkler, traduit de l’allemand par Bernard Banoun, Verdier, 2022, 265 pages.

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