Dans La fracture, Charles Juliet revient sur son enfance et sur le traumatisme initial, la séparation avec sa mère. On retrouve dans ce texte des échos de ses textes antérieurs et la genèse de Lambeaux, longue et douloureuse naissance de l’écrivain. Tous ses écrits convergent vers ce livre central, celui à travers lequel il a voulu faire revivre ses deux mères, sa mère biologique « ma morte », à laquelle il a été arraché, et sa mère nourricière « la tendrement aimée qui n’a jamais compté sa peine ». A travers elles, c’est aussi un hommage rendu à toutes les femmes discrètes et exceptionnelles.
Le deuxième texte évoque des souvenirs fugitifs de ses premières années. Bruits, odeurs, saveurs de la campagne qui rappellent le temps perdu, la vie rude d’un petit paysan, les travaux et les peurs d’un enfant mais aussi ses plaisirs simples.
Plus long et déroutant, « Le déclic », s’éloigne apparemment de l’autobiographie et s’apparente à une nouvelle ou à un conte. Un avocat renommé, fatigué de sa vie brillante mais creuse et marqué par les paroles d’un ancien détenu prend la fuite loin de la ville. Il rencontre un couple de paysans, gens simples auprès desquels il retrouve la sérénité. Derrière ce personnage quelque peu factice on sent toujours l’histoire personnelle de l’auteur, sa quête, son exigence d’authenticité : « Je vais me laisser guider par cette voix que je refusais d’entendre. Je sens que tout va enfin pouvoir commencer. »
Deux articles rendent hommage aux « lectures décisives » qui l’ont bouleversé à l’adolescence : celle de L’Etranger de Camus et du Dieu nu d’un auteur plus oublié, Robert Margerit. Car les livres sont aussi des rencontres qui peuvent être à l’origine d’un déclic.
Publiés peu de temps avant sa disparition ces textes prennent aujourd’hui une valeur testamentaire. On y retrouve la sincérité et la sensibilité d’un homme touchant et la présence d’un écrivain qui nous interpelle : « Et vous, vous l’avez connu le déclic? Vous l’avez connu? »
La fracture et autres textes, Charles Juliet, P.O.L., 2024, 135 pages.
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