Premier roman très abouti de Hugo Lindenberg, Un jour ce sera vide raconte, le temps d’un été au bord de la mer, les peurs, les émois et les secrets d’un enfant de dix ans. Délicat, subtil et touchant.
En vacances en Normandie avec sa vieille grand-mère et sa tante obèse qu’il surnomme « la folle », le jeune narrateur rencontre Baptiste, un garçon de son âge qui le fascine. Il fait tout pour l’imiter, pour mériter son amitié et surtout pour être accueilli chez lui, dans cette famille parfaite, qui apparait si différente de la sienne sur la plage : « je distinguais le triangle impeccable que formaient ses parents et sa soeur. Plus loin, seule sur une chaise pliable, ma grand-mère ressemblait à un rocher. » L’enfant éprouve une immense tendresse pour sa grand-mère, présence rassurante : « Je m’imagine lionceau perdu dans la savane, sous la protection d’un vieux fauve. » Mais il ressent aussi de la honte, honte de ses robes à fleurs, de son accent polonais, et du bol de foie haché qu’elle offre à la mère de Baptiste : « J’aimais le foie haché comme j’adorais ma grand-mère : dans l’intimité du foyer. Offerts à la vue de tous, l’un et l’autre m’embarrassaient terriblement. » Tiraillé entre deux mondes, le jeune garçon tente d’adopter les codes d’un autre univers, de se faire accepter et de voler un peu de la présence maternelle qui lui manque. Peu à peu, on devine les secrets enfouis derrière les mensonges et les silences, les histoires passées qui hantent cet enfant solitaire et sensible.
Un jour ce serait vide pourrait aussi avoir pour titre « Les Méduses ». Omniprésentes dans le livre, elles s’échouent sur la plage où les garçons les décortiquent d’un bâton avec cette innocente cruauté de l’enfance. Elles habitent, hantent le roman comme les sables mouvants, symboles du passé qui aspire et des monstres cachés qui peuvent engloutir. Le vide, c’est celui qu’a laissé la mère de l’enfant, l’absente dont on ne parle pas : « Le silence, c’est ça mon héritage. » C’est aussi celui de l’âge, du corps de la grand-mère usé par les épreuves et les années, fort et fragile à la fois : « Il y a le corps solide de ma grand-mère, ses postures d’écorce et puis il y a ses mains, feuilles tremblantes et vérolées par lesquelles la mort exprime tout son génie. (…) j’imagine sous sa blouse les seins exsangues (…) les seins vidés par la fatigue. Est-ce que ses fesses aussi sont vides? Est-ce que moi aussi, un jour, je serai vide? »
L’histoire se divise en trois parties, en courts chapitres aux titres simples - « La Mouche, Le Bain, Les Fourmis… » - comme autant de scènes intimes décortiquées. Dans une langue délicate, elliptique et lumineuse l’auteur épouse le point de vue du jeune garçon, détaille ses émois, ses sensations les plus infimes, déroule un long monologue intérieur. Nous sommes avec lui, en lui presque, nous sentons l’étirement du temps un après-midi d’été, la douceur de l’eau sur ses épaules, l’odeur de la maison : « une odeur âcre de tilleul et de chicorée. Une odeur que je n’ai jamais sentie ailleurs et qui sera désormais et pour l’éternité l’odeur d’ici, de l’ennui et de mes dix ans. »
Belle découverte en cette rentrée littéraire, le roman de Hugo Lindenberg se déguste avec lenteur, -on voudrait en retenir, en prolonger la lecture- et se poursuit dans l’imaginaire.
Un jour ce sera vide, Hugo Lindenberg, Christian Bourgois, 2020, 172 pages.
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