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Le vieil incendie, Elisa Shua Dusapin

  • Photo du rédacteur: M. O.
    M. O.
  • 31 juil.
  • 2 min de lecture

Dernière mise à jour : 31 juil.

Deux soeurs qui ne se sont pas vues depuis des années se retrouvent pour vider la maison de leur père. Pendant neuf jours, elles trient, rangent, éliminent… et les souvenirs resurgissent. Agathe, l’aînée, partie à New-York à quinze ans, est devenue scénariste. Véra est restée dans la demeure paternelle du Périgord. Elles ne savent presque plus rien l’une de l’autre alors qu’elles étaient si proches : « J’ai de la peine à me rappeler que nous avons été indissociables. » Enfants, elles faisaient corps, se rassurant lors des disputes parentales. Plus tard, lorsque la mère est partie, l’aînée est devenue la protectrice de la plus jeune. D’autant que Véra a cessé de parler à l’âge de six ans ; Agathe était devenue sa voix, répondait pour elle. Elles étaient « les filles ». Aujourd’hui, elle découvre que sa soeur est devenue une étrangère : « Sauf l’enterrement de notre père, je réalise que je ne partage aucun souvenir d’adulte avec elle. »

 

Durant ces journées, elles se redécouvrent, s’affrontent, se rapprochent. Véra souffre de se croire déconsidérée, méprisée par celle qui a réussi ; Agathe a mauvaise conscience d’avoir abandonné sa petite soeur, fuyant ce rôle d’ainée qui lui pesait. Entre elles, beaucoup de malentendus et de ressentiment, beaucoup de tendresse aussi qui resurgit dans la proximité des corps. Porter les objets et les meubles à la décharge à l’issue du séjour acte la fin de l’enfance. Etape violente et nécessaire où se mêlent les sentiments de perte et de transmission. C’est un peu comme enterrer ses parents une deuxième fois dans la « fosse aux meubles » où des machines broient les objets : « Fauteuils décapités, chaises brisées, portraits d’inconnus. »

 

Le récit, construit comme un journal intime avec ses dates et ses phrases brèves, marque la progression des jours et des émotions toujours selon le point de vue d’Agathe. Véra nous reste en partie mystérieuse, comme elle l’est pour sa soeur. L’autrice esquisse les personnages et ne nous donne que peu de renseignements sur leur vie passée et présente, nous laissant imaginer entre les blancs. Ses descriptions donnent une forte présence aux lieux et aux paysages d’une région qui lui est familière. Elle tisse des liens entre l’histoire et le décor : forêts qui semblent sorties d’un conte, grottes où les concrétions calcaires se sédimentent comme les souvenirs d’enfance, château écroulé et restauré comme leur relation. Des échos renvoient aussi à d’autres textes : W ou le souvenir d’enfance de Perec qu’Agathe doit adapter, Les trois soeurs de Tchékhov annoncée par une affiche sur laquelle Véra dessine. L’écriture pudique et sensible d’Elisa Dusapin crée une atmosphère poétique avec des motifs qui reviennent, comme celui, étrange, des fourmis - peut-être parce qu'il renvoie à une fascination du regard d’enfant.

 

Entre enracinement et départ, Agathe et Véra incarnent deux figures opposées, deux formes de liberté et une belle histoire de sororité.

 

 

Le vieil incendie, Elisa Shua Dusapin, Prix Wepler 2023, Folio, Gallimard, 2025, 144 pages.

 

 

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