La petite-fille, Bernhard Schlink
- M. O.
- 20 juin
- 2 min de lecture
A la mort de sa femme Birgit, Kaspar découvre qu’il la connaissait mal. Kaspar est originaire de l’Allemagne de l’Ouest, Birgit de l’Est ; ils se sont rencontrés à Berlin-Est en 1965 lors des journées de la jeunesse qui réunissaient des étudiants des deux Allemagnes. Birgit a quitté clandestinement la RDA pour vivre avec Kaspar mais elle a eu du mal à s’adapter à sa nouvelle existence, se sentant toujours étrangère, vide et absente. Surtout, elle a toujours caché à son mari qu’elle avait eu une fille, abandonnée à sa naissance. Kaspar parvient à retrouver celle-ci : après une enfance difficile et une adolescence erratique, Svenja vit dans une communauté villageoise de Saxe avec son compagnon et leur fille de quatorze ans, Sigrun. Ils appartiennent aux Völkisch, mouvement d’extrême-droite qui prône un retour aux valeurs allemandes traditionnelles et qui s’apparente presque à une secte avec son repli sur soi et ses nombreux interdits. Comment la relation va-t-elle se construire entre la jeune fille élevée dans une idéologie nationaliste et négationniste et le sexagénaire ouvert et cultivé, c’est tout l’enjeu de la seconde partie du livre. Kaspar apprivoise l’adolescente, à petits pas, au fil de ses séjours dans la capitale. Etonnée, Sigrun découvre un mode de vie nouveau mais reste fidèle aux injonctions paternelles (cinéma, télévision, jean et piercing interdits). Même s’ils appartiennent à deux mondes différents, un lien fragile se tisse entre eux à travers les livres et surtout la musique ; Kaspar est libraire et mélomane, Sigrun, lectrice, s’adonne au piano avec passion.
L’écriture de Bernhard Schlink, fluide et délicate, évite tout didactisme. La narration progresse au rythme d’aller-retours entre présent et passé, montrant combien l’Histoire marque les existences. Les personnages, nuancés et attachants, échappent à la caricature. Comme Kaspar, l’auteur fait preuve de respect et semble avant tout chercher à comprendre.
La petite-fille est l’histoire d’un couple ou plutôt de plusieurs couples : celui que forment Kaspar et Birgit, celui du grand-père et de sa petite-fille d’adoption, mais surtout celui des deux Allemagnes. Proches mais différents, les êtres comme les pays ne se connaissent pas vraiment. Le drame que vit Birgit, celui de l’exil et du malentendu, préfigure les difficultés de la réunification : « on attendait de moi qu’en quittant la RDA je laisse derrière moi tout ce qui en faisait partie, parce que c’était soviétique et communiste, et que désormais je sois comme eux. » Des années plus tard, sa petite-fille, déchirée entre deux cultures, ressent le même désarroi : « Sigrun se sentait abandonnée, seule, et elle avait été seule dans son monde, qu’il lui avait rendu un peu étrange, sans pour autant l’installer dans une autre patrie. » La fusion, la réunification semblent impossibles Tout au plus la compréhension, moins par les mots que par la musique.
Bernhard Schlink nous offre à travers ce beau roman des éléments de compréhension sur l’évolution de l’Allemagne contemporaine et une réflexion sur l’altérité.
La petite-fille, Bernhard Schlink, traduit de l’allemand par Bernard Lotholary, Folio Gallimard, 2023, 392 pages.
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