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Photo du rédacteurM. O.

Badjens, Delphine Minoui

Badjens - en persan, mauvais genre, effrontée, espiègle - c’est le nom que Zahra, jeune iranienne, s’est donnée. A l’image de toute une société schizophrène où règnent l’hypocrisie et la corruption, Zahra/Badjens a une double identité, celle des apparences et de la vie secrète, celle du dehors et du dedans : « J’ai appris à me dédoubler pour exister. » Dès avant sa naissance, elle est non désirée - « Désolée, c’est une fille » s’excuse la gynécologue lors de l’échographie. Elle est l’erreur, l’oubliée, au contraire de son petit frère gâté, choyé. A neuf ans, un tchador lui est offert, sinistre cadeau, lors de la « fête des devoirs ». Elle doit apprendre à cacher ses cheveux et ses désirs d’adolescente ou à les vivre sur internet de manière virtuelle. Elle se joue des interdits profitant des absences de son père et de la complicité de sa mère. Tout est possible pour qui sait ruser - regarder des séries américaines, se maquiller, boire de l’alcool - et surtout pour qui peut payer. Badjens a seize ans quand éclatent les manifestations en réaction à la mort de Masha Amini. Seize ans, l’âge de toutes les provocations. Avec ses amies, avides de liberté, elles affrontent la police des moeurs et brûlent leur tchador.  

 

Journaliste d’origine iranienne, Delphine Minoui s’essaie ici au roman après avoir publié des récits-témoignages dont le très beau Les Passeurs de livres de Daraya. Le livre n’est pas exempt de maladresses, confidence, journal intime dont l’oralité est émaillée de formules générales. Mais l’autrice a le mérite de faire ressentir dans le quotidien et de l’intérieur la situation d’enfermement de la femme iranienne. Elle l’inscrit aussi dans la culture et l’histoire du pays. La religion, bien sûr omniprésente, est étouffante : au culte des morts de la tradition chiite s’ajoute celui des soldats victimes de la guerre Iran/Irak vénérés comme des martyrs. La focalisation sur la chevelure féminine, symbole de sensualité et de puissance, apparait déjà dans d’anciennes légendes comme celle de « la femme aux quarante chevelures » qui a le pouvoir de faire pousser la végétation. Le voile, tour à tour interdit et imposé au cours de l’histoire récente de l’Iran, incarne cette mainmise des hommes sur le corps des femmes. En 1936, un décret oblige de le retirer et l’aïeule de Badjens se sent nue dans la rue sans son foulard ; en 1979, sa grand-mère l’arbore dans les manifestations contre la monarchie ; en 2022, la jeune fille enfreint la loi en le retirant.  

 

Expression de la revendication d’une jeune fille rebelle, lutte d’Eros contre Thanatos, le livre donne toute sa signification au slogan « Femme, vie, liberté ». 

 

 

Badjens, Delphine Minoui, Editions du Seuil, 2024, 149 pages. 

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