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La Matinale, Nolwenn Le Blevennec

  • Photo du rédacteur: Fleur B.
    Fleur B.
  • 13 déc.
  • 2 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 3 jours

Dès les premières lignes, le lecteur est saisi par une voix, celle de Léonore de Karadec, présentatrice célèbre d’une matinale : « Moi, pour décrire ce qui m’a conduite ici sur une chaise métallique en face de vous, dans cet hospice de Fontainebleau, je parle de naufrage, je dis, ma personnalité a fait naufrage. » L’écriture vive, rapide, incisive donne chair à cette femme meurtrie, d’une lucidité caustique, voire cruelle. Clin d’œil assumé à Portnoy et son complexe de Philip Roth, le roman déploie son long soliloque, un flot de paroles adressé à un psychiatre qui doit évaluer son discernement. Le récit - composé de courts paragraphes qu’on imagine prononcés en un seul souffle - retranscrit aussi les silences ; mots qui se bloquent, attente d’une réponse, d’une relance qui ne vient pas. Le titre des chapitres épouse le parcours clinique de Léonore, des « symptômes » au « transfert », en passant par la « décompensation » ou encore « le passage à l’acte ». Léonore reconstruit les étapes qui l’ont conduite à s’en prendre à son co-présentateur et amant, Alexis, « un être froid, manipulateur, alcoolique, lâche, un choix maudit. »


A quarante ans, Léonore incarne la réussite, la « femme française intelligente », elle fait même partie « des 50 personnalités préférées des Français, selon l’Ifop ». Refusant un certain conformisme et très éprise d’Alexis, elle quitte mari et enfants : « Le célibat signait le retour des possibles, du désordre, du libre arbitre, du rap américain pour faire la vaisselle. La fin du jugement sur les petites décisions de la journée.» Mais Alexis s’éloigne, l’ignore et elle perd pied. Par ailleurs, ses jours à l’antenne semblent comptés : on lui fait remarquer son teint gris, ses cernes, ses kilos en trop. Le monde impitoyable de la télévision nourrit son mal-être, alimente une auto-dévalorisation névrotique. Lorsque son producteur lui donne quinze jours de vacances pour tester à l’antenne la jeune et belle Yvonne, Léonore craque : « Décompensation, burn-out, fugue, délire ». Elle décide alors de partir se reposer sur l’île de Sein dans une maison de famille délaissée, tout comme elle.  Elle s’identifie à cette terre et à ses pierres submergées à chaque marée – métaphore qui s’enracine dans un cauchemar récurrent. Léonore dérive, s’accroche, chemine. Jusqu’au jour où Alexis refait surface.


La Matinale est à la fois le portrait d’une femme en « crise de mélancolie aiguë » et un tableau sans concession de notre époque, en particulier du journalisme télévisuel, véritable machine patriarcale prête à broyer l’actualité comme les êtres - et en particulier les femmes - sur l’autel de l’audience. Souvent, on rit jaune. La clairvoyance rétrospective de Léonore est mordante. Les pages consacrées au nouveau traitement du RN dans les interviews sont particulièrement acerbes et accablantes. Il est toutefois dommage que le roman cherche à embrasser trop de sujets et appuie parfois le trait, notamment avec certains personnages stéréotypés.


Ce bémol mis à part, une galerie d’êtres de papier aussi émouvants qu’attachants - dont l’ex-mari est un des plus réussis - illumine le roman. Nolwenn Le Blevennec contrebalance l’âpreté de notre monde et la déréliction de Léonore par une fin porteuse d’espoir, à la portée de chacun : « les petites décisions éthiques nous sortent des grandes crises. »


La Matinale, Nolwenn Le Blevennec, Gallimard, 2025, 229 pages.

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