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Photo du rédacteurFleur B.

Bien-être, Nathan Hill

Dernière mise à jour : 13 déc. 2024

Dans les années 1990, à Chicago, Jack et Elizabeth s’épient pendant des mois depuis leur fenêtre sur cour, se rencontrent finalement dans un bar pour ne plus se quitter. Un coup de foudre digne d’une comédie romantique qu’ils racontent à chaque nouvelle connaissance avec un plaisir manifeste, jouant chacun une partition parfaitement maîtrisée. Une vingtaine d’années plus tard, le couple qui se voulait bohème a un enfant et achète un appartement sur plan. La passion s’est émoussée. Elizabeth rêve d’une chambre à soi, Jack s’offusque des deux suites parentales proposées par l’architecte. Que penseraient les jeunes adultes qu’ils étaient s’ils se voyaient aujourd’hui ? Non seulement leur couple s’embourgeoise et bat de l’aile, mais surtout leurs aspirations sont déçues. Jack n’est pas devenu un artiste d’avant-garde reconnu, le bref succès de ses photographies a duré aussi peu de temps qu’un feu de prairie des Flint Hills où il a grandi. Envolé, l’anticonformisme de sa jeunesse, tatoué littéralement sur sa peau. Jack, comme beaucoup d’hommes de son âge, se soumet à présent aux injonctions d’une montre connectée. Elizabeth quant à elle se désespère d’être une aussi mauvaise mère ; malgré ses lectures et ses recherches, son fils Toby reste colérique, peu social et accro aux écrans : « Elle prit enfin la mesure de l'étrange paradoxe qu'il y avait à être parent : c'était parfaitement accablant et à la fois étrangement réconfortant. Ça dévorait autant que ça comblait. » Elle travaille à la Clinique du Bien-Être, spécialisée dans l’étude des placebos, qui a « pour mission de tester les effets prétendument bénéfiques sur la santé de produits nouvellement commercialisés ». Ses nouvelles recherches portent, assez ironiquement, sur un philtre d’amour permettant aux couples de se reconquérir - placebo dont elle aurait aimé pouvoir être elle aussi la dupe pour échapper à ce qu’elle appelle le « bas de la courbe en U » : « Le bonheur avait tendance à suivre un schéma familier: les gens étaient plus heureux dans leurs jeunes années, puis pendant leur vieillesse que pendant les décennies du milieu. Le bonheur était à son maximum autour de la vingtaine puis à nouveau vers 60 ans, mais il touchait le fond entre les deux. Et c'était là que Jack et Élizabeth se trouvaient en ce moment, au fond de cette courbe, au milieu de leur vie ».


Confrontés à cette crise majeure, Jack et Elizabeth sont rattrapés par leur passé, leur enfance malheureuse qui les avait tous deux menés à Chicago « pour devenir orphelins ». Nathan Hill raconte l’histoire de ce couple de la classe moyenne avec beaucoup d’humour et de tendresse. Les fêlures des personnages s’esquissent au fil du roman grâce à de nombreux flashbacks qui emportent le lecteur. Plus qu’un roman d’amour, Bien-être est un roman d’apprentissage qui commence là où d’autres se finissent. C’est à la quarantaine que Jack et Elizabeth trouvent enfin les clefs qui leur permettent de se réconcilier avec eux-mêmes, et ce faisant avec l’autre : « Il fallait tout ce temps pour découvrir les chemins tortueux qu'on empruntait dans le but de se mentir à soi-même ».


Bien-être est un formidable roman qui se quitte à regret. La grande finesse psychologique des personnages s’allie à une maîtrise remarquable de la narration et à une très belle plume (et traduction).  Nathan Hill croise avec brio des thématiques contemporaines très diverses : la culture du bien-être, l'amour et sa nouvelle carte du tendre, la gentrification, les réseaux sociaux et les algorithmes, les prairies brûlées des Flint Hills, … Le roman est ainsi très dense, frôlant par moment l’essai, mais sans que la narration en perde sa fluidité et son souffle.


« Entre nous et le monde, il y [a] un million d'histoires, […] alors autant essayer les plus humaines, les plus généreuses, les plus belles, les plus chargées d'amour. » Bien-être, si bien nommée, est de ces histoires.


Bien-être, Nathan Hill, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nathalie Bru, Gallimard, 2024, 688 pages.

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