Ce que je sais de toi déconcerte tout d’abord dans sa première partie, « toi », par son écriture à la deuxième personne qui retrace la vie d’un homme dont l’identité mystérieuse tient lieu de colonne vertébrale du roman. Le lecteur se laisse happer par cette narration singulière qui dévoile dans ses grands traits l’enfance de Tarek dans la communauté levantine du Caire des années soixante : « tu évoluais dans ce monde bourgeois et occidentalisé, sorte de bulle halogène de plus en plus anachronique.» L’histoire de l’Egypte en toile de fond, les chapitres égrainent ce qui seraient les évènements - ou plutôt les hasards - marquants, déterminants, pour la vie future de Tarek. Ainsi, à l’âge de douze ans, son avenir professionnel est scellé suite à une question a priori anodine de son père sur le métier qu’il envisage, ingénieur ou médecin – comme lui. Tarek marche donc dans les pas de son père car « on n’est jamais que ce que la société attend de soi ». Lorsque celui-ci meurt prématurément, il reprend tout naturellement son cabinet, tout en consacrant une journée hebdomadaire au dispensaire qu’il a créé dans le Moqattam, quartier pauvre du Caire construit autour d’une décharge. Il y rencontre Ali et sa mère atteinte de la maladie de Huntington et tous deux vont chacun à leur manière infléchir sa vie.
Après un début original et maîtrisé, le roman s’essouffle un peu. Les deux parties suivantes, « moi » puis « nous », sont plus convenues et moins convaincantes, essentiellement car le mystère de l’identité de Tarek est levé – sans véritable surprise. L’écriture fine et sensible maintient néanmoins l’intérêt du lecteur jusqu’à la fin.
Ce que je sais de toi raconte avec beaucoup de brio pour un premier roman l’amour sous toutes ses formes, et questionne avec acuité le tissage du présent avec le passé.
Ce que je sais de toi, Éric Chacour, éditions Philippe Rey, 2023, 304 pages.
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