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La Lumière vacillante, Nino Haratischwili

  • Photo du rédacteur: Fleur B.
    Fleur B.
  • il y a 3 jours
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 2 jours

Keto erre, pleine d’appréhension, dans les salles d’une rétrospective consacrée au travail de son amie d’enfance Dina. Elle est bientôt rejointe par les deux autres membres de leur quatuor tourbillonnant, Ira et Nene ; elles ne se sont pas vues depuis des années. Les photographies ravivent un passé douloureux, traumatique, qui les a soudées autant que séparées : « les souvenirs, ravivés par les photos qui sont au mur, […] s'approchent dangereusement du présent ». Dina est la grande absente, fantôme vivace qui hante cette consécration posthume. Les causes de sa mort constituent l’un des ressorts narratifs qui tient en haleine le lecteur jusqu’aux dernières pages, particulièrement poignantes. La construction de ce roman dense suit Keto, la narratrice, de photographies en réminiscences sans jamais nous perdre et nous plonge dans l’histoire tortueuse de la Géorgie à la chute de l’URSS : « le passé recouvre aussitôt mon présent, je suis de nouveau absorbée par autrefois, l'ambiance de ces jours revient sur le champ : la tension, l’irritation et le refus obstiné d'avouer la peur qui rôdait partout comme un fauve affamé. »


Keto et Dina sont devenues amies à l’âge de huit ans, dès l’emménagement de cette dernière dans le microcosme du 12, rue des Vignes à Tbilissi : « La cour était un Etat dans l'Etat. À première vue, un Etat socialiste exemplaire : tous étaient égaux, avaient les mêmes droits, indépendamment de leur ethnie et de leur sexe, mais cela aussi, bien sûr, n'était qu'une fausse réalité. En fin de compte, chacun avait sa place dans cette construction, et chacun connaissait parfaitement ses privilèges. » Ira y vit aussi. Petite fille modèle, toujours studieuse et trop sérieuse, elle subit les brimades de ses camarades de classe qui vont jusqu’à lui voler son journal intime afin d’en faire des lectures à voix haute. C’en est trop pour Keto et Dina qui le lui restituent, geste scellant une amitié indéfectible. Nene, quant à elle, est issue d’une famille de la pègre géorgienne et vit dans un appartement luxueux sous la surveillance constante de ses frères. Son caractère passionné, sa vitalité sont autant de remparts contre la tyrannie familiale, avec la complicité de ses amies.


Durant leur enfance dans la capitale géorgienne des années 80-90, l’impétueuse Dina les entraîne dans de folles aventures, avant que l’Histoire ne les rattrape. La chute de l’URSS entraîne le pays dans une période trouble : coup d’Etat, guerres, système politique et économique gangrené par la corruption, rivalités mafieuses exacerbées par l’essor du trafic d’héroïne... L’histoire intime des jeunes filles s’entremêle à celle de leur pays : leur désir d’émancipation se heurte à une société très patriarcale, leurs amours naissantes sont contrariées par les ambitions masculines, leur amitié est mise à mal par des conflits interfamiliaux. Chacune des quatre héroïnes cherche alors sa planche de salut, parfois au détriment des autres. Pour Dina, ce sera la photographie, comme le comprend Keto face au travail de son amie « l’art n’a rien à voir avec la beauté et l’esthétique, […] ce n’est pas une forme délibérément choisie pour livrer un message utile à la société, mais un acte de survie, ni plus ni moins. »


Amitié, amour, vengeance, haine, folie, La Lumière vacillante est une magistrale fresque romanesque dans la Géorgie de la fin du XXème siècle. Et Nino Haratischwili une autrice à découvrir et à suivre.


La Lumière vacillante, Nino Haratischwili, traduit de l’allemand par Barbara Fontaine, Gallimard, 2024, 716 pages.

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