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James, Percival Everett

  • Photo du rédacteur: Fleur B.
    Fleur B.
  • il y a 13 heures
  • 2 min de lecture

James trouve son origine dans le chef-d’œuvre de Mark Twain Huckleberry Finn. Percival Everett lui emprunte le personnage secondaire de Jim, un esclave, dont il fait le héros de son roman. Huck est aussi présent, enfant astucieux qui fugue pour échapper à son père, et maquille sa disparition en assassinat. Un bien mauvais timing pour James : il fuit au même moment pour éviter sa vente qui le séparerait à jamais de sa femme et de sa fille. Il est alors le principal suspect de ce faux crime. Huck et James deviennent des compagnons d’infortune dont on suit les aventures le long du fleuve Mississippi entre fascination et appréhension.


Dans Underground Railroad, autre prix Pulitzer, Colson Whitehead racontait la fuite d’une jeune esclave, Cora, vers le Nord grâce à un réseau de chemin de fer clandestin. Mais pour James, il n’en est pas question. Il doit d’abord racheter sa femme et sa fille, entreprise aussi périlleuse qu’impossible pour un esclave en fuite, de surcroît accompagné par un enfant blanc. Leurs aventures brossent un tableau sans concession de l’Amérique esclavagiste et raciste, des ménestrels grimés en blackface aux fermes d’élevage en passant par les lynchages et les pendaisons. Dessillé dans sa naïveté enfantine, Huck déplore : « J'aime pas les Blancs. Et j'en suis un. » Si Percival Everett se refuse à tout manichéisme - James fera l’amère expérience d’esclaves embrassant leur condition de bon cœur - il écrit néanmoins contre toute une littérature, dont les œuvres de Twain, qui n’aborde l’esclavagisme qu’à travers le regard de personnages blancs. Ainsi, son héros renverse tous les poncifs et jusqu’aux mots mêmes afférents à la servitude : « Je choisis alors le terme « ennemi » et je persiste dans mon choix car « oppresseur » suppose nécessairement l'existence d'une victime. »


La merveilleuse trouvaille de Percival Everett tient bel et bien dans la langue et dans son potentiel d’ironie. James est un esclave lettré qui n’en laisse surtout rien paraître car « on gagne toujours à donner aux Blancs ce qu'ils veulent ». Les esclaves parlent ainsi tout à fait normalement entre eux mais utilisent un langage spécifique, sommaire, dès qu’apparaît un Blanc. James enseigne ce parler esclave aux enfants, au milieu d’autres leçons de survie : « Essaie avec « sû' que », dis-je. Ce serait la version correcte de la grammaire incorrecte. » Ces va-et-vient entre les deux langues donnent des pages particulièrement savoureuses. Bien qu’esclave, James s’affirme en être libre, une liberté naturelle et indéfectible. Si les Blancs peuvent contraindre et malmener son corps, ils ne peuvent rien contre son esprit, ses pensées. La lecture est un de ces territoires par lesquels il peut entretenir sa liberté : « C'était une pratique absolument intime, absolument libre et, par conséquent, absolument subversive ». L’écriture en est un autre, et le roman que nous lisons en est la preuve : la mise en page du livre laisse croire que nous avons entre nos mains le carnet du ménestrel Daniel Emmett, sur lequel James a écrit son histoire.


James, Percival Everett, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne-Laure Tissut, éditions de l’Olivier, 2025, 287 pages.

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