Pauvre, Katriona O’Sullivan
- M. O.
- 10 oct.
- 3 min de lecture
Pauvre, le titre du livre est direct, sans filtre, comme son contenu. Katriona O’Sullivan, troisième d’une fratrie de cinq enfants, a connu une enfance et une jeunesse chaotiques auprès de parents alcooliques et toxicomanes. Les (rares) parenthèses heureuses alternent avec les périodes noires de crise, délaissement des enfants, incarcération du père, prostitution de la mère, placements dans des foyers. Rien ne la destinait à poursuivre des études à l’université et, plus encore, à y enseigner. C’est ce parcours atypique que l’autrice décrit avec réalisme et sans misérabilisme. On est surpris d’abord par l’énergie qui se dégage de ce personnage qui surmonte les épreuves. Violée à sept ans par un ami de la famille, enceinte à quinze ans, elle parvient malgré tout à intégrer le prestigieux Trinity College de Dublin. Ce qui la sauve, c’est d’abord la lecture qu’elle découvre très tôt et dans laquelle elle se réfugie, dévorant les livres que sa mère achète pour son père dans les magasins caritatifs. C’est aussi la rencontre de plusieurs personnes qu’elle appelle ses « pierres de gué » - professeurs, éducateurs, travailleurs sociaux - qui lui donnent confiance en elle et lui fournissent les bases éducatives manquantes - elle ne sait rien, ni se laver ni manger un vrai repas. Curieusement, elle s’appuie aussi sur l’amour de ses parents, déficients mais jamais malveillants ou maltraitants. Sa mère aimante à sa manière : « Ma mère l’avait, cet instinct, cet amour maternel. Il était bel et bien en elle. Le problème c’est que, pour qu’il se manifeste, on devait se faire percuter par une voiture. » Loin de lui en vouloir, elle a pris assez de recul pour la comprendre, l’excuser et même reconnaitre ce qu’elle lui doit : « Peut-être que je tenais ma détermination de ma mère. Et ma résilience, aussi. Peut-être que nous sommes pareilles, toutes les deux, et qu’elle a simplement rencontré le mauvais garçon. » Autour de son père, « cet homme impossible, ce gâchis intellectuel et moral », règne un mystère non éclairci - origine inconnue, soupçon d’abus sexuel dans la petite enfance. Adopté par un couple de la moyenne bourgeoisie, adolescent doué mais rebelle, il refuse une place au Trinity College, là même où sa fille étudiera et enseignera comme pour réparer cet échec.
Aujourd’hui docteure en psychologie, l’autrice mène de front le récit et l’analyse de son parcours. Elle explique ainsi les sentiments ambivalents et le conflit de loyautés qui l’habitent : désir de s’en sortir mais sentiment de trahir les siens, regrets, culpabilité de n’avoir pu aider ses parents, ses frères et, plus encore, sa petite soeur : « je voudrais revenir en arrière et me comporter comme une meilleure grande soeur. Mais nous étions tous trop occupés à survivre. Et nous n’y pouvons plus rien. » Elle éclaire aussi le comportement paradoxal d’auto-destruction, celui de ses parents, le sien aussi dans ses périodes d’échecs. Loin des discours moralisateurs et culpabilisants, elle montre comment le choix du pire peut être celui d’une « zone de confort » et combien il est difficile, douloureux d’échapper à sa condition : « Si toute votre vie vous n’avez connu que le stress et le chaos, c’est ce courant-là que vous aurez tendance à suivre. » Mais c’est malgré tout de cette expérience douloureuse qu’elle tire sa force de survie, sa capacité à percevoir le moindre danger et presque une sorte de fierté qu’elle revendique : « Tous les O’Sullivan valent mieux que l’endroit d’où nous venons. Nous sommes des gens malins, drôles, courageux. Nous méritions mieux. »
Ce premier livre n’est pas exempt de maladresses et de redites mais on a le sentiment qu’une voix émerge. L’autrice évoque les espaces sécurisés qu’elle a rencontrés dans sa jeunesse - la salle des professeurs, la maison des jeunes, le foyer, le centre social « un endroit où je peux parler librement, à coeur ouvert ; où je peux raconter ma vérité sans craindre qu’on m’accuse ou me fasse honte ». Le livre en est un aussi.
Pauvre, Katriona O’Sullivan, traduit de l’anglais (Irlande) par Simon Baril, Sabine.Wiespeser, 2025, 306 pages.
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