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Je pleure encore la beauté du monde, Charlotte McConaghy

  • Photo du rédacteur: Fleur B.
    Fleur B.
  • il y a 9 heures
  • 2 min de lecture

La première phrase nous saisit par sa violence et son étrangeté, le ton est donné, le suspens lancé et il ne retombera pas avant la fin : « On avait huit ans le jour où papa m’a coupée en deux, de la gorge jusqu’au bas ventre. »


Le roman s’ouvre sur l’enfance d’Inti et de sa jumelle Aggie, partagée entre Sydney et les forêts du Canada, entre une mère « inspectrice-de-la-brigade-criminelle-dure-et-citadine-invétérée » et un père « ancien-bûcheron-changé-en-homme-des-bois-naturaliste ». Les deux sœurs s’épanouissent davantage dans la vie en autosuffisance proposée par leur père qu’auprès d’une mère qui les confronte très tôt, par son travail, à la noirceur humaine. Celle-ci cherche absolument à « endurcir » Inti qui souffre d’une « synesthésie visuo-tactile » : « En gros, mon cerveau commande à mon corps d’éprouver les sensations dont je suis témoin visuellement. » Aggie, assurée et téméraire, protège sa sœur et n’hésite pas à sortir les crocs. Le passé des jumelles s’enchevêtre au récit principal dans lequel Inti, biologiste spécialiste des loups, s’installe en Ecosse pour œuvrer à leur réinsertion. Elle, si douce enfant, est devenue une « chose dure et en colère » quand Aggie vit recluse dans leur cottage, ne communiquant plus que grâce au langage signé inventé dans leur enfance.


La narration, portée par Inti, nous attache aux quatorze loups réintroduits dans les Highlands afin de sauver un écosystème en perdition. Le « réensauvagement de la région » s’inscrit dans la création d’un cercle vertueux de diversification du vivant grâce à la présence de grands prédateurs. Ceux-ci doivent permettre d’étendre la couverture forestière par la régulation d’espèces herbivores, et ainsi réduire les émissions de CO². Inti et son équipe se heurtent à l’animosité et la colère des éleveurs et des habitants, à cette peur ancestrale du loup, dévoreur de moutons et d’enfants. Menaces, intimidations, passages à l’acte, le programme de réhabilitation semble perdu d’avance et les loups condamnés à être abattus les uns après les autres. Cette atmosphère de western écossais se tend davantage encore lorsque l’un des éleveurs, Stuart, un homme violent qui bat sa femme, disparaît. Les soupçons se portent immédiatement sur les loups - et tous de crier à la vengeance. Inti, qui a trouvé le corps, est prête à tout pour sauver sa mission ; elle enterre le cadavre et mène sa propre enquête pour disculper ses protégés, persuadée que l’homme est un animal bien plus sanguinaire.


Charlotte McConaghy réussit avec maestria un roman particulièrement haletant car elle tient son triple suspens sans faiblir jusqu’aux dernières pages. Son écriture - admirablement traduite - se déploie pour évoquer la beauté de la nature sauvage ou au contraire se resserre au plus près des sensations d’Inti. A dévorer absolument.


Je pleure encore la beauté du monde, Charlotte McConaghy, traduit de l’anglais (Australie) par Marie Chabin, Gaïa, 2024, 367 pages.

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