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Les émigrants, W. G. Sebald

  • Photo du rédacteur: M. O.
    M. O.
  • 20 sept.
  • 2 min de lecture

Ce sont quatre personnes - son ancien instituteur, son grand-oncle, son voisin et un peintre - sur lesquelles le narrateur enquête et dont il relate l’histoire. Quatre existences marquées par l’exil. Ces hommes ont quitté leur pays natal, Lituanie ou Allemagne, pour échapper au chômage, à la misère ou au nazisme. Sebald lui-même, né en 1944, a fui l’Allemagne d’après-guerre, ne supportant pas « l’abêtissement, l’amnésie des Allemands, l’habileté avec laquelle tout avait été rendu propre ». Il a effacé son prénom qu’il jugeait « vraiment nazi », lui a substitué ses seules initiales ou le surnom « Max ». Chacun de ces êtres au destin tragique recèle un secret, un mystère que l’auteur s’emploie à dévoiler, ou du moins à approcher, en s’appuyant sur les confidences, les écrits intimes de la personne elle-même ou de ses proches. A partir de l’agenda de son grand-oncle ou des écrits de la mère du peintre, le texte s’inscrit dans un continuum et s’enrichit d’autres textes. Le récit superpose ainsi les temps, les souvenirs et les voix, glissant insensiblement de l’une à l’autre, du présent au passé, du narrateur aux personnages. Les paysages traversés, admirablement décrits, défilent sous nos yeux, parfois au rythme du train. L’auteur, qui a grandi dans une Allemagne encore marquée par les ruines et les monticules de gravats, ne voit dans toutes les villes qu’il traverse - Manchester, Deauville ou Jérusalem - que quartiers délabrés, vestiges d’une grandeur passée, lieux désaffectés où passent des habitants fantomatiques.   

 

L’écriture de Sebald, lyrique et envoutante, est une écriture du temps perdu et retrouvé. Autant que les vies elles-mêmes l’auteur raconte ses enquêtes et note en détails le lent cheminement du souvenir ou son irruption soudaine par l’effet d’un hasard miraculeux. La phrase s’allonge, fouille la mémoire, collecte les moindres bribes du passé comme le peintre maniaque conserve la poussière dans son atelier. Des illustrations parsèment le texte - portraits, paysages, croquis, objets - dans un désir de fixer le souvenir évanescent. Pareilles à ces cartons poussiéreux de brocanteur où s’entassent - vestiges d’une vie - petits clichés noir et blanc aux bords dentelés, lettres anciennes et papiers divers, elles ajoutent à la mélancolie du récit. Sebald fait émerger des existences oubliées, des visages effacés, des villes détruites.

 

Magie du souvenir et de la littérature qui opère lentement un processus de cristallisation : « Quand je me remémore (…) notre enfance (…) il me semble qu’elle s’est répandue dans toutes les directions sur un temps illimité, et même qu’elle dure encore, jusque dans ces lignes que j’écris aujourd’hui .»

 

 

Les émigrants, W. G. Sebald, Quatre récits illustrés, traduit de l’allemand par Patrick Charbonneau, Actes Sud Babel, 2001, 288 pages.

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