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L’inventaire des rêves, Chimamanda Ngozi Adichie

  • Photo du rédacteur: Fleur B.
    Fleur B.
  • 9 mai
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 9 mai

Les lecteurs conquis par L’Hibiscus pourpre, L’autre moitié du soleil ou Americanah attendaient impatiemment de retrouver Chimamanda Ngozi Adichie dans une œuvre de fiction. L’inventaire des rêves confirme le talent de l’autrice nigériane et nous offre un formidable moment de lecture à travers le parcours de quatre femmes africaines.


Le roman est composé de cinq parties, chacune centrée sur l’une d’elles. Chiamaka, aspirante écrivaine qui chronique ses voyages à travers le monde, nous accueille à l’orée du récit et le conclut. Optimiste au grand cœur, son rêve est de trouver l’âme-sœur : « être connue, telle que je suis vraiment, par un autre être humain ». Mais les déconvenues amoureuses se succèdent et ses articles trouvent difficilement à être publiés. Zikora, son amie, nigériane comme elle, incarne la réussite professionnelle. Brillante avocate aux Etats-Unis, elle souffre de rester célibataire et sans enfant. Et lorsque son rêve d’être mère se réalise enfin, un autre s’effondre et la laisse amère. L’histoire de Kadidiatou, la plus forte, occupe le cœur du roman. Elle est librement inspirée de celle de Nafissatou Diallo, agressée sexuellement par Dominique Strauss-Kahn en 2011 dans une chambre d'hôtel de New-York. Kadidiatou rêve d’une vie paisible mais la violence qu’elle subit en Guinée la pousse à émigrer aux Etats-Unis dans l’espoir de protéger sa fille. Kadidiatou rencontre par hasard Chiamaka qui l’embauche avec amitié pour entretenir la grande propriété que ses parents lui ont offerte. L’avant-dernière partie est prise en charge par Omelogor, la cousine de Chiamaka, qui travaille dans la finance au Nigéria. En blanchissant l’argent des puissants, elle connaît une ascension fulgurante non sans animosité masculine. Mais un drame l’accable de scrupules ; elle crée alors « Robyn Hood », une fondation caritative ayant pour vocation de subventionner des femmes en détournant une partie des fonds véreux. Lasse de ce « cœur putride de la finance nigériane et son pus suintant », elle entreprend un mémoire aux Etats-Unis sur la pornographie en tant que source d’éducation à la sexualité désastreuse. Elle s’y heurte à la bien-pensance universitaire et son rêve vire au cauchemar. L’autrice offre ainsi un point de vue singulier en littérature et un décentrement géographique bienvenu. Ses personnages cosmopolites naviguent entre l’Afrique et les Etats-Unis, ou d’autres pays occidentaux, sans que ces derniers constituent l’eldorado convenu.


Les hommes qui traversent le roman sont souvent des personnages peu reluisants : menteurs, lâches, ils cherchent des relations amoureuses avec des subalternes plutôt qu’avec des égales. Mais s’ils sont souvent veules, leurs fêlures et leur fragilité affleurent aussi. L’écriture de Chimamanda Ngozi Adichie est empreinte d’une grande tendresse pour ses personnages ; elle ne les juge pas mais les accompagne en questionnant leurs choix, car pour l’autrice « l'art a pour objectif d'observer notre monde et d'en être ému, puis de s'engager à essayer de voir clairement ce monde, l'interpréter, le mettre en question ».


Les trajectoires très différentes de ces quatre femmes sont marquées par les mêmes injonctions culturelles et sociales : se marier, avoir des enfants, se tenir tranquille, rester à sa place sous peine de représailles. Chimamanda Ngozi Adichie propose un récit universel sur la condition féminine et confronte ses personnages aux différents maux ou tragédies qui ponctuent trop souvent une vie de femme, et en particulier des femmes africaines : fibromes utérins, syndrome prémenstruel, fausse couche, accouchement difficile, excision, mariage arrangé, viol … En faisant entendre leur voix et leur histoire, en leur redonnant la maîtrise du récit, l’autrice rend justice aux femmes meurtries, et en particulier à Nafissatou Diallo à travers son double de papier : « Créer un personnage fictif comme un geste pour lui rendre sa dignité » explique-t-elle dans une postface (peut-être un peu trop didactique bien qu’éclairante).


L’inventaire des rêves, à l’image de sa fin, est un roman lumineux grâce à la sororité qui le traverse et qui nous est offerte en partage.


L’inventaire des rêves, Chimamanda Ngozi Adichie, traduit de l’anglais (Nigeria) par Blandine Longre, Gallimard, 2025, 655 pages.

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