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Théorie de la disparition, Séverine Chevalier

  • Photo du rédacteur: Fleur B.
    Fleur B.
  • 23 mai
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 23 mai

Mylène, 69 ans, est mariée à un auteur de romans policiers à succès, Mallaury, et vit tapie dans son ombre : « lui c'est l'écrivain, moi je suis l'intendante. » Les recoins, les marges, la transparence, elle ne connait que cela depuis l’enfance et n’aspire pas à autre chose. Ou peut-être que si, finalement ? Alors qu’elle séjourne avec son mari dans une résidence d’écrivain, elle décide de disparaître… au sous-sol ! Elle trouve une excuse pour justifier son absence et s’y terre avec son ordinateur et l’envie d’écrire. Mais son mari disparaît à son tour : « Évidemment, il y a quelque chose de tout à fait ridicule à disparaître sans assumer de disparaître, à disparaître sans disparaître, quand ensuite et surtout, un proche disparaît vraiment. »


Telle des poupées russes, une disparition en cache une autre. La narratrice est hantée par celle de sa grand-mère - un féminicide et non une mort naturelle foudroyante comme elle le croyait. Celle-ci a été tuée par son mari, qui a ensuite essayé de tuer leur fils et de se suicider : « Il a été acquitté pour cause de femme ivrogne et adultère - elle l'aurait rendu fou -, puis il a élevé son fils comme si rien ne s'était passé. » Ce crime impuni, qu’elle apprend après la mort de son père, éclaire la vie de cet homme taciturne et discret. Surgit aussi le souvenir de la disparition d’une camarade au collège. Ces deux drames alimentent sa réflexion sur cette vie « d’animal de compagnie » qu’elle mène depuis l’enfance, cet auto-effacement volontaire : « Disparition est un mot compliqué, un mot pour le processus lui-même, et un mot pour le résultat : on était là, on n'y est plus, mais on est bien quelque part tout de même. »  


Mylène est une narratrice particulièrement attachante, notamment grâce à son humour et son regard sans complaisance sur elle-même, son mari et le milieu littéraire : « L'écrivain a nécessairement des choses à dire, et Mallaury en particulier a des choses passionnantes à dire, même si c'est toujours un peu les mêmes, à force. » Nous devenons ses complices, les dépositaires de ses secrets et de son épiphanie. Elle nous invite à être « ce lecteur, cette lectrice idéale, capable de lire dans les blancs et les trous du texte, entre les lignes, dans les silences, ses aveuglements. »


L’écriture sensible est au plus près de ce personnage qui opère une sorte de mue, le sous-sol et l’écriture comme chrysalide. La mise en page cisèle le texte, voire quelques mots isolés sur une page blanche. L’autrice laisse ainsi de l’espace au lecteur, du temps pour reprendre son souffle quand le pire arrive, ou pour noter une phrase - car on a envie d’en retenir beaucoup. Les chapitres, alors que les disparitions s’égrènent, suivent le crescendo d’un protocole en cas d’incident dans une centrale nucléaire : de l’écart à l’accident majeur, autant d’étapes pour disparaître – ou réapparaître.


Théorie de la disparition raconte avec tendresse et intelligence le cheminement d’une femme qui reprend sa vie et son histoire en main grâce à l’écriture : « les mots à extraire un à un, à remettre en ordre, c'est à ça que je m'attelle, un à un avec hameçon ou pince, tant pis si ça racle, si ça fait mal, un à un les remonter, les étendre, les sécher, les arranger. »


Théorie de la disparition, Séverine Chevalier, La manufacture de livres, 2025, 167 pages.

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