La femme du deuxième étage, Jurica Pavičić
- M. O.

- 14 nov.
- 2 min de lecture
C’est un roman policier sans réel suspense, ou plutôt, la question n’est pas de savoir qui va tuer qui - nous le savons très vite - mais quand et comment cela adviendra et ce qui en résultera. Bruna rencontre Frane, un beau marin de Split. Ils se marient et emménagent dans la maison de Frane où vit aussi sa mère veuve, Anka. Dès le repas de noces le malheur se profile : « Sur la pâtisserie trônaient de jeunes mariés en pâte d’amandes. Ils se dressaient au sommet du gâteau, petits et luisants, en attente d’un couteau qui vienne les découper. » Lors de leur installation, Bruna a un mauvais pressentiment et les indices se multiplient. Peu à peu, la situation se dégrade ; insidieusement, la matriarche taciturne et autoritaire impose son pouvoir au jeune couple. L’histoire d’amour tourne à la tragédie.
Comme dans L’eau rouge, son excellent premier roman, Pavičić déroule l’histoire sur un temps long. Le récit s’étend sur plus de vingt ans et couvre à la fois la détention et la reconstruction de Bruna. Au coeur du roman c’est moins la question de la culpabilité que celle du hasard qui est posée : ce qui fait qu’une existence bascule alors que tout aurait pu tourner autrement. Et si Bruna ne s’était pas rendue, ce soir-là, à cette fête d’anniversaire et n’avait pas rencontré Frane ? Ou encore, si le mari d’Anka n’était pas mort prématurément en glissant sur le toit ? La jeune femme semble impuissante, poussée par les événements sans avoir de prise sur eux : « Cela a commencé comme ça. Et puis une chose en a entraîné une autre, inexorablement et irrévocablement, comme dans les vieux magazines de couture où les ciseaux n’ont qu’à suivre le ligne tracée des patrons. » Ce n’est que peu à peu, au cours des années de détention puis face à sa liberté nouvelle, qu’elle reprend le pouvoir, fait ses choix et se construit une existence simple mais en accord avec elle-même. L’écriture précise et réaliste de Pavičić - qui décrit les moindres pensées, sensations de Bruna et détaille l’enchainement de sa routine quotidienne - rend compte de cette lente reconstruction. Les personnages féminins au centre du roman lui donnent une dimension quasi mythique. Déesses nourricières ou sorcières maléfiques elles détiennent, à travers la nourriture et la cuisine, thème récurrent, le pouvoir de nourrir, de séduire ou de tuer. En toile de fond, on découvre aussi la Croatie post-communiste avec les vestiges de l’industrialisation et la transformation rapide des lieux sous l’irruption de «la bête monstrueuse du tourisme. »
Tous ces éléments contribuent au plaisir de la lecture et font du livre de Pavičić plus qu’un roman policier, un roman tout court.
La femme du deuxième étage, Jurica Pavičić, traduit du croate par Olivier Lannuzel, Points, 2023, 238 pages.



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