Le juge et son bourreau, Le soupçon, Friedrich Dürrenmatt
- M. O.
- 4 juil.
- 2 min de lecture
Le premier récit, Le juge et son bourreau, le plus réussi, s’ouvre sur la découverte d’un policier assassiné dans sa voiture sur une route de montagne, près de Berne. Le commissaire Bärlach, la soixantaine fatiguée, est chargé de l’enquête. Avec son adjoint Tschanz ils forment le duo classique. D’un côté, le sexagénaire expérimenté surnommé « le Vieux » qui a travaillé en Allemagne et en Turquie, sorte de Maigret suisse, le cigare au lieu de la pipe. Il dirige l’affaire avec une sorte de distance, presque de désinvolture et se fie à son intuition : « mon soupçon n’est pas scientifiquement, criminologiquement fondé. Aucun argument ne le justifie. […] A vrai dire, j’ai seulement une idée de l’individu qui pourrait être l’assassin.» De l’autre, le jeune ambitieux mène une enquête de terrain fouillée, accumule les indices et les preuves. L’urgence renforce le suspens car Bârlach a peu de temps devant lui ; il souffre d’un cancer à l’estomac et doit être opéré au plus tôt. Mais rien ne l’arrête : « Je suis un gros chat, un matou qui aime dévorer les souris. » Un retournement final inattendu - dont nous ne dirons rien - éclaire toute l’histoire.
On retrouve le même commissaire Bärlach, cette fois mis à la retraite après avoir été opéré, dans le deuxième récit, Le soupçon. Le doute s’insinue en lui lorsque son ami médecin croit reconnaitre sur une photo un nazi ayant pratiqué des expériences médicales atroces dans le camp du Stutthof. Celui-ci est actuellement à la tête d’une clinique de luxe aux méthodes douteuses après avoir exercé au Chili pendant la guerre. Même si tout semble le contredire, Bärlach n’écoute que son soupçon et, malgré le risque encouru, se fait admettre dans cette clinique.
Dans ses deux textes Dürrenmatt n’épargne pas la Suisse et particulièrement Berne « ce trou perdu, cette prétendue capitale (…) cette grosse ville endormie », objet d’une violente diatribe. Il pointe du doigt le pouvoir de l’argent et la compromission des gouvernants : « Trop de petites combines, trop d’espionnage ; mais le gibier qui prospère et qu’on devrait chasser, les vrais gros bestiaux, l’Etat les protège comme au jardin zoologique. » L’auteur - qui était aussi peintre et dramaturge - a le sens du décor et de la progression dramatique. Son style incisif et caustique et sa maîtrise du suspens tiennent le lecteur en haleine. Mais surtout, au-delà de l’intrigue, ces deux récits prennent une dimension historique et métaphysique, dans le contexte de l’après-guerre. La question qui les traverse et qui taraude le commissaire est celle du mal : « Ainsi le mal l’avait toujours envoûté, ce grand mystère dont la résolution l’attirait sans cesse, irrésistiblement. »
La nouvelle traduction de ces récits publiés dans les années cinquante est l’occasion de découvrir un auteur de talent et deux polars philosophiques sur fond de montagnes suisses.
Le juge et son bourreau, Le soupçon, Friedrich Dürrenmatt, traduit de l’allemand par Alexandre Pateau, Gallmeister, Totem, 2025, 301 pages.
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