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La Longe, Sarah Jollien-Fardel

  • Photo du rédacteur: Fleur B.
    Fleur B.
  • 9 juil.
  • 2 min de lecture

Les premières lignes, magnifiques et désespérées, saisissent d’emblée le lecteur : « Tous les matins, pendant un quart de seconde, je suis bien. Un quart de seconde où je ne me rappelle plus qui je suis, ce que je fais, où je dors. » Rose, la narratrice, a perdu sa fille unique, Anna, et vivre est devenue une lutte quotidienne. D’autant plus qu’elle est à présent « retenue dans une chambre aux parois boisées, attachée à une longe ». Pris par sa voix, on tourne les pages avec avidité, angoisse et un rare plaisir de lecture. Pourquoi et par qui Rose est-elle séquestrée ?


La première partie du roman revient sur son passé, à commencer par son enfance heureuse dans un village isolé de haute montagne où son père a repris le café d’Eugénie, grand-mère maternelle aimante et complice. Seule ombre à cette vie atypique et joyeuse, les « bêtes » qui assaillent parfois sa mère et la clouent au lit. Les jours heureux prennent définitivement fin à la mort de celle-ci : Rose a huit ans et vient de faire sa première communion. L’enfant s’accroche à sa foi, parle secrètement avec le « fantôme maternel », quand son père, son frère, sa grand-mère se murent dans une douleur solitaire et silencieuse. Personne ne veut répondre à ses questions : « c’était quoi exactement les bêtes, dans la tête de maman ? »


Mais l’enfance, c’est aussi la rencontre avec Camil - dont la grand-mère habite le même village - leurs jeux et échappées dans la montagne : « Après la mort de maman et le chagrin inguérissable qui remodèlera papa, après mon frère et ses réconforts toxiques, demeurent Camil, ses pupilles noisettes, nos sentiments immortels. » Des années plus tard, ils se retrouvent inopinément à une soirée estudiantine : leur complicité est intacte, c’est le coup de foudre. Le couple retourne, comme une évidence, s’installer au village. Alors qu’elle ne voulait pas d’enfant, Rose tombe enceinte. L’autrice s’empare du tabou de la maternité non-désirée avec sensibilité et justesse. A la mort de sa fille, Rose est rongée par la culpabilité de l’avoir un jour souhaitée. La voix de la prisonnière s’immisce dans les réminiscences pour les commenter et distille d’autres informations sur sa réclusion. On apprend ainsi très vite qui la séquestre - ce qui redouble notre effroi et notre impatience à en découvrir les tenants et aboutissants.


La seconde partie est consacrée à la captivité de Rose – récit de journées passées dans le noir, la solitude et la rage. Un jour, surgit une voix inconnue qui l’apaise par la lecture. Duras, Delbo, Rilke, autant d’auteurs à son chevet de mère endeuillée qui peu à peu la libèrent. Car on comprend vite qu’avant d’être une expérience physique, la longe est métaphorique. Cette seconde partie convainc peut-être moins mais reste tout aussi puissante : l’écriture épouse l’intériorité fracassée de son personnage et son progressif retour à la vie.


Sarah Jollien-Fardel nous offre un roman d’amour et de deuil stupéfiant qu’on lit d’une traite, le souffle coupé.


La Longe, Sarah Jollien-Fardel, Sabine Wespieser éditeur, 2025, 157 pages.

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