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Mais leurs yeux dardaient sur Dieu, Zora Neale Hurston

Un soir, à Eatonville en Floride, première ville fondée par d’anciens esclaves, réapparaît Janie Starks sous les regards curieux des habitants : « Ces assis-là avaient sans yeux et sans oreilles et sans langue servi d’outils tout le long du jour. […] Mais le soleil et le boss-man s’en étaient allés et maintenant ces peaux se sentaient humaines et puissantes. Devenaient seigneurs des sons et des moindres choses. Faisaient passer des nations entières par leur bouche. Assis, rendant jugement ». Les premières pages subjuguent par l’écriture singulière de Zora Neale Hurston, la fulgurance des métaphores, le rythme de sa prose, la langue vernaculaire chantante et chatoyante des personnages,  remarquablement traduite par Sika Fakambi. Plongé au cœur des ragots de vérandas, l’intérêt du lecteur pour la revenante est aiguisé. Pour expliquer son retour à son amie Phoebe, Janie remonte le fil de sa vie jusqu’à sa naissance : « Janie voyait sa vie comme un grand arbre en feuilles qui étaient toutes les choses endurées et les choses aimées et les choses faites ou défaites ». Une vie marquée par la violence des hommes. Née d’un viol, abandonnée par sa mère, elle est élevée par sa grand-mère, ancienne esclave devenue libre à la fin de la guerre de Sécession. Alors qu’elle n’a que seize ans, sa Nanny, animée des meilleurs intentions et apeurée par sa fin qui approche, la pousse à un mariage qui lui répugne avec un homme déjà âgé. Cette union s’avère aussi décevante que prévue pour une jeune fille qui rêvait d’amour et de sensualité : « Elle savait maintenant que le mariage ne faisait pas l’amour. Ainsi mourut le premier rêve de Janie, ainsi devint-elle une femme ». Conquise par le charisme et les paroles enjôleuses de Joe Starks, elle quitte son premier mari et le suit jusqu’à Eatonville où il nourrit des ambitions politiques. Janie connait une situation plus prospère mais n’en est pas pour autant heureuse. Joe la délaisse pour ses affaires. Pire, il se révèle mesquin, jaloux et autoritaire, n’hésitant pas à la railler en public. C’est avec le jeune, mais fauché, Tea Cake, son troisième mari, que Janie vit enfin le grand amour et découvre la liberté. Une union joyeuse, parfois querelleuse, mais avant tout émancipatrice.


Zora Neale Hurston fait de Janie une formidable narratrice, à la voix puissante et captivante, et un personnage bouleversant par son courage et sa résilience. Mais leurs yeux dardaient sur Dieu est un magistral portrait de femme, un grand roman d’apprentissage et une inoubliable histoire d’amour.


Mais leurs yeux dardaient sur Dieu, Zora Neale Hurston, traduit de l’anglais (américain) par Sika Fakambi, Zulma poche, 2020, 256 pages.

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