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Moi, Tituba sorcière…, Maryse Condé

  • Photo du rédacteur: Fleur B.
    Fleur B.
  • 17 juil.
  • 2 min de lecture

Quand la grande Maryse Condé s’empare de l’histoire des sorcières de Salem, c’est pour réhabiliter celle qui en reste la principale oubliée : la jeune esclave Tituba qui eut le malheur de plaider coupable.


Tituba est dès sa naissance frappée d’une triple malédiction : celle d’être esclave, noire et femme. Parce qu’elle est née d’un viol, « cet acte de haine de mépris », sa mère est incapable de l’aimer. Mais Abena est donnée par son maître à Yao et ce compagnon d’infortune chérit comme la sienne l’enfant. Tituba apprend vite le caractère éphémère du bonheur pour une esclave. Sa mère commet « le crime pour lequel il n’est pas de pardon » alors qu’elle tente d’échapper à un nouveau viol. Elle est pendue, Yao vendu. Tituba est recueillie par Man Yaya, qu’on vient « voir de loin à cause de son pouvoir ». Celle-ci lui transmet, avant de mourir, son savoir sur la nature, les vertus de chaque plante, les incantations et les sacrifices, et la faculté d’entrer en contact avec les défunts. Tituba vit alors libre et isolée dans une case construite de ses mains en bordure de rivière. Mais la jeune fille croise un homme rieur et séduisant, John Indien : « à chaque note qui fusait de sa gorge, c’était un verrou qui sautait de mon cœur. » Pour lui, et malgré les avertissements d’Abena et de Man Yaya, elle accepte de retrouver la servitude, l’humiliation quotidienne, et de perdre la maîtrise de son destin. Les époux, vendus à un pasteur, quittent la Barbade pour Boston, puis pour le village puritain de Salem. Tituba se lie de tendresse pour sa maîtresse, sa fille et sa nièce ; elle use de ses remèdes pour les guérir lorsqu’elles tombent malades. Mais, poussées par une éducation rigoriste aliénante, ces dernières l’accusent de les avoir ensorcelées : « J’étais la pauvre sotte qui avait réchauffé des vipères dans son sein ». Commencent alors les fameux procès des sorcières de Salem : les condamnations pour sorcellerie se multiplient dans une incroyable frénésie. Un des interrogatoires de Tituba est partiellement retranscrit : pour sauver sa vie, elle capitule et avoue. Lorsque l’amnistie générale est finalement déclarée deux ans plus tard, elle ne l’inclut pas : « Dès la fin du siècle, […] des jugements seraient rendus qui réhabiliteraient les victimes […]. Moi, je ne serai jamais de celles-là. Condamnée à jamais, Tituba ! ». Et toute trace de la jeune femme disparaît des registres.


Maryse Condé lui invente une vie, tumultueuse et terrible, qui permet de faire le tableau d’une époque et d’un pays où le puritanisme, le racisme et l’antisémitisme justifient une violence sans nom, et où les premières révoltes d’esclaves éclatent. Surtout, elle lui redonne la parole ; Tituba est enfin la narratrice de sa propre histoire : « Voici l’histoire de ma vie. Amère. Si amère. » Sa langue est vive, fluide, affutée, à l’image de son caractère intrépide et passionné. Le lecteur est emporté par le tourbillon de ses (més)aventures. Par la grâce de la plume de Maryse Condé, Tituba s’en relève avec dignité.


Moi, Tituba sorcière…, Maryse Condé, folio, 1998, 278 pages.

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