Roman de Ronce et d’Épine, Lucie Baratte
- Fleur B.

- 5 sept.
- 3 min de lecture
Ronce et Épine, des jumelles, naissent par « un beau matin de printemps » dans un château entouré d’une forêt que l’on dit maudite : « Les sentiers forment des boucles infernales qui égarent les êtres et les empêchent de s’enfoncer dans la forêt. Des hurlements de loup s’y font entendre. ». L’une est blonde, l’autre brune et leurs caractères en tout point dissemblables mais elles sont unies par les liens insécables de leur gémellité « comme la ronce qui enserre et l’épine qui perce ». Ronce est calme et aime broder, comme leur mère, Blanche. Épine est intrépide et trépigne, car elle aime la chasse, comme leur père, mais ce loisir est interdit à son sexe. Sa ténacité finit par payer ; son père se résigne à lui transmettre sa passion car Blanche ne donne pas d’héritier. Tous les nouveau-nés meurent les uns après les autres, comme frappés d’une malédiction. Cendrine, la nourrice, se désespère, ses décoctions sont vaines. Blanche s’affaiblit à chaque grossesse, puis meurt en couches. Leur père part guerroyer pour regagner les faveurs du roi et n’en revient pas. Les jumelles devenues orphelines, le conte s’accélère. Un jour, Ronce se pique le doigt sur une épine et Épine disparaît dans les ronces de la forêt. Ronce est alors gagnée par un étrange verdissement : elle se végétalise. Épine se retrouve prisonnière de la forêt. L’effrayante « légende de Trystain le Défiguré » que leur racontait leur nourrice en est-elle vraiment une ? Les deux sœurs réussiront-elles à échapper à la malédiction de la forêt et à se retrouver ?
Lucie Baratte joue à convoquer contes et récits légendaires pour mieux nous dérouter, à commencer par celui du prince charmant : « la rumeur du « château des oubliées » échauffe l’imagination des jeunes hommes. Les plus téméraires se mettent à rêver d’être celui qui délivrera les damoiselles en détresse, deux nobles jouvencelles qui se morfondent dans leur donjon, menacées dans des bois maudits. » Roman de Ronce et d’Épine tient aussi de la chanson de toile que les femmes chantaient pendant leurs travaux de broderie et dans laquelle elles tiennent une place centrale. La langue singulière de Lucie Baratte s’enracine dans les Lais de Marie de France ; poétique, sensitive et archaïque, elle nous transporte à travers le temps. La composition du roman et certains motifs s’inscrivent aussi dans cet héritage, comme la métaphore de l’écriture dans les toiles tissées par Ronce ou encore la porosité avec un Autre monde. Ronce et Épine ne sont-elles pas ainsi nommées en hommage aux jumelles Frêne et Coudrier de l’un des lais de la poétesse ? Enfin, tout comme l’illustre Marie, l’autrice ménage un prologue et un épilogue dans lesquels elle se met en scène : « Mon nom est Lucie Baratte et je vous ai raconté l’aventure de deux sœurs, nées jumelles, dont le destin était attaché à celui d’une forêt mystérieuse, et qui, chacune à leur manière, par la broderie ou par la chasse, ont tenté de défier la fatalité de l’existence humaines. ».
Le roman est construit dans un mouvement cyclique qui épouse celui de la nature. La fin du roman en reprend ainsi les premiers mots, comme une invitation à réentonner le chant : « Un beau matin. » Chaque chapitre s’ouvre par l’évocation du passage du temps à travers la succession des saisons : « Le givre se dépose sur la canopée, les mains et les ruisseaux sont gelés, les cris des oiseaux étouffés. Les animaux se déplacent en silence. Les jours s’amincissent. Les nuits s’alourdissent. Les gestes se ralentissent. » Des premières lignes empreintes d’une grande poéticité par leur rythme, les jeux de sonorités, les rimes - dans la continuité des titres de chapitres qui sonnent comme d’étranges proverbes : « Hiver sans sou ni maille, Rien de bon qui vaille », « Mai à la fenêtre, L’espoir fait renaître ».
Si le Roman de Ronce et d’Épine nous séduit tant, c’est qu’il sait nous surprendre à travers le destin de ses deux héroïnes qui convoque un canevas bien connu pour mieux s’en affranchir.
Roman de Ronce et d’Épine, Lucie Baratte, Les éditions du typhon, 2024, 204 pages.



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